Œuvre magistrale
et très novatrice de C. T. Dreyer, qui ouvre les portes d’un autre monde, celui
d’un entre-deux indéfini, secret et fantomatique.
Dreyer part non
pas de la trame de Stocker mais de nouvelles irlandaises (Carmilla et L’Auberge du dragon
volant de J. S. Le Fanu) et il s’écarte du Nosferatu de W. F. Murnau aussi bien que du Dracula de T. Browning (jusqu’alors les deux œuvres – quoique très
différentes – qui dominent le thème du vampirisme) pour proposer une vision
totalement différente.
Le film de
Dreyer est un voyage vers un lieu étrange, surnaturel, que l’on ne saisit pas
vraiment. L’image est comme nimbée d’un voile qui recouvre tout, qui situe la
narration hors du temps, hors de l’espace (la pellicule a été accidentellement
surexposée, ce qui donne à l’image cette teinte ouatée particulière, presque
impressionniste, que s’est approprié aussitôt Dreyer). Le trajet d’Allan Gray, qui s’installe à l’auberge, va de surprise en surprise et découvre le village menacé par le vampire, est comme un rêve ou plutôt comme un
endormissement progressif (un état hypnagogique pourrait-on dire), qui conduit jusqu’à
la vision par Allan de son propre ensevelissement dans un cercueil (par d’étonnantes vues en caméra subjective).
Plus que le récit
bien construit d’une découverte, le film est donc une plongée progressive dans
le surnaturel. Il n’est pas question ici de dérouler une histoire (qui serait
une histoire d’épouvante, comme tant de films sur le thème) mais il est
question d’une déambulation incertaine dans un entre-deux. Parcouru de
personnages inquiétants, d’indices omniprésents de la mort qui rôde, d’un
étrange livre qui décrit d’anciens rituels, cet entre-deux est rendu fascinant
par le style de Dreyer.
C’est que la
virtuosité et le génie de Dreyer éclatent à chaque plan : sa caméra est
sans cesse en mouvements, avec des cadrages baroques, des angles de vue
violents, et, toujours ce voile étrange sur l’image. Impossible donc de
déchirer cette brume qui persiste, de s’appuyer sur le confort d’une narration
distincte ou d’un plan calmé et raisonnable : ici tout n’est
qu’incertitude, onirisme, cauchemar. Et on ressent combien c’est cette peinture
étrange, parfois abstraite, bien plus que le récit lui-même, qui est le terrain
du vampire, celui où il sévit et que c’est sa manière à lui d’entraîner le
monde vers la mort.
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