Ce très grand film de King Vidor porte un regard acéré sur la
guerre, décrite à la fois comme une tragédie, mais aussi comme le réceptacle
des émotions et des aventures humaines.
Vidor prend le temps de construire ses personnages : la
première partie de la séquence de guerre, qui s’apparente à la vie de garnison,
est clairement comique (le personnage de Slim tient du burlesque) même si
l’amour naissant entre James et Mélisande épaissit les personnages, leur
faisant perdre la superficialité qu’ils avaient tout d’abord.
La force du film, ensuite, quand les troupes partent au
front, est de changer de ton radicalement. Les adieux entre Mélisande et Jim,
déchirants et disproportionnés, annoncent la fin : Mélisande s’agrippe à
la jambe que perdra Jim. Jim, ensuite, lui lance la chaussure droite, comme une
annonce de ce qu’ils se retrouveront et qu’alors, elle pourra rendre la
chaussure, la seule, désormais, dont il aura besoin.
La puissance des scènes de combat provient de la confrontation entre leur violence et les personnages comiques. Si Chaplin envoie Charlot dans
les tranchées, il ne meurt pas pour autant. Ici Slim meurt sous les coups des
balles ennemies, sans que James ne puisse le sauver à temps. Le tragique est
renforcé par un effet purement cinématographique : Slim l’ouvrier
burlesque n’a pas sa place dans les tranchées, sous les bombes ennemies. Il y meurt
pourtant.
L’évolution du personnage de James est incroyable : de
riche fils oisif et peu concerné, il se lie d’amitié au régiment avec des
hommes du peuple (qu’il n’aurait par ailleurs jamais côtoyés) et développe un
amour sincère et puissant pour la jeune paysanne, bien loin de la
superficialité de son premier engagement.
La fin, qui voit les amoureux se retrouver, annonce, par son
lyrisme, les chefs-d’œuvre de Frank Borzage. Et, précisément, on retrouvera
dans L’Isolé, lorsque Tim, paralytique, reprend pied pour courir jusqu’à
sa bien-aimée, une évocation de James qui clopine maladroitement en haut de la
colline.
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