Même s’il est
assez peu connu (bien moins que King-Kong,
du même réalisateur, sorti la même année et auquel sa réalisation est associée),
Les Chasses du comte Zaroff (dont le titre était initialement au singulier) constitue
une référence incontournable sur le thème de l’aventure qui confine à l’épouvante.
Le thème est en effet terrible et fascinant : la chasse à l’homme par l’homme
(et non par quelques monstres) a aussitôt des relents mythologiques et touche
au tréfonds de chacun.
Le film est
tourné en parallèle de King-Kong, grand projet de la RKO à l’époque, et il ne
dispose que de petits crédits, le destinant à n’être qu’une œuvre de
second rang. Mais le bon sens industriel des studios incite à profiter des techniciens
et des décors (et même d’acteurs communs), tout cela sous la houlette de Selznick
et Schoedsack qui sont à la baguette des deux projets.
Le film, qui
démarre comme un film d’aventures, flirte ensuite avec l’épouvante. C’est qu’il
relaie des images propres à marquer les
esprits (et le réalisateur le sait parfaitement) à coups de décor gothique et
inquiétant, avec de vastes escaliers décorés de fresques terribles et avec ce qu’il
faut de crânes et d’allusions qui font redouter le pire. Et ce sont des images
enfouies de l’enfance qui surgissent, celles des contes, alors que la jungle, luxuriante,
malsaine, faite de marais, de lianes, de brume et de pestilence, évoque la littérature
d’aventures, de Jules Verne au Monde
perdu en passant par les îles des pirates. L’immersion des personnages (et du
spectateur avec eux) est très réussie et cette force de frappe visuelle
fonctionne parfaitement.
Le rôle du comte
Zaroff, essentiel, est très bien tenu : on sait qu’un tel film doit avoir
un méchant très méchant. Et avec son port aristocratique, ses manières civilisées,
Zaroff est terriblement inquiétant. Il laisse le soin à son domestique d’être un
colosse terrifiant alors qu'il exprime en réalité le mal ultime, le plus terrifiant. Mais
le personnage est complexe et reflète la société humaine : il se pose
comme étant au sommet de la civilisation (sa demeure massive est placée au
milieu d’une jungle sauvage) et il représente en même temps les pulsions qui
animent l’homme : pulsions de mort, pulsions sexuelles frustrées (ses
comparaisons entre chasse et jouissance sexuelle sont explicites).
Et Schoedsack
maîtrise parfaitement l’assemblage des décors avec les personnages, on sent
l’influence de l’expressionisme dans les noirs et blancs violents et il nous laisse
prendre la terrible place du gibier, en voyant le film au travers des yeux de
Rainsford. Rainsford : le chasseur qui devient chassé, son arrogance du début et
la mise en garde du médecin (« on
qualifie de sauvage la bête qui tue pour se nourrir et de civilisé l’homme qui
tue pour son plaisir ») contribuant à distiller un premier doute avant
que le film n’illustre, on ne peut mieux, combien l’homme est un loup pour l’homme.
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