Magistral film
de Jacques Tourneur qui est une des grandes références du cinéma qui évoque ou suggère,
mais sans montrer directement. Tourneur a compris que suggérer la présence d’un
monstre sans le montrer directement est beaucoup plus angoissant pour le
spectateur. Et, bien plus encore qu’une efficacité dans la montée de
l’angoisse, cela permet de faire basculer le film dans le fantastique, sans que
rien, à l’écran, ne dévie d’un film noir habituel. Le film devient fantastique
par les suggestions, par ce qu’en comprend le spectateur. La Féline prend donc appui sur une vieille légende slave et peut
dérouler son propos, toujours en insinuant, en évoquant, mais sans jamais montrer directement.
De nombreuses
séquences angoissantes laissent soigneusement hors-champ le cœur de l’attaque,
se contentant de tourner autour du fauve, de sentir son approche ou sa
présence, par des ombres, des reflets, la pesanteur d’un moment, le changement
d’un son. Que ces litotes nombreuses et brillantes soient le résultat d’un
manque de moyens ou d’un cahier des charges qui contraignait Tourneur ne changent pas le résultat final, qui marque de son empreinte le triomphe de la suggestion
et de la litote. Le génie de Tourneur fait le reste et de nombreuses séquences
sont devenues des références.
L’évidente
richesse d’une simple suggestion est qu’elle active l’imaginaire. Une place est
toujours laissée au doute quant à la compréhension de ce qu’il s’est réellement
passé (s’est-il seulement passé quelque chose ?). Quand un
personnage ressent une présence indéterminée qui rôde, y a-t-il quelque chose
qui rôde ? En laissant au spectateur le soin de ressentir sans que le
doute puisse être levé, Tourneur enrichit considérablement sa narration.
On regrette que,
dans le cinéma d’aujourd’hui, on ait complètement oublié la leçon de Jacques
Tourneur et que l’on aille, de surenchères en surenchères, vers une monstration
sans cesse plus étalée et cinématographiquement très affadie. Préférant le choc
de l’image (celui de l’image violente ou l’acquiescement devant le trucage
réussi de tel ou tel monstre) à la suggestion du hors-champ, le cinéma semble
arrêter le film à ce qui se déroule dans son cadre – alors même que le cinéma
cherche sans cesse à happer davantage le spectateur –, ce qui le réduit à ce
qui se déroule sur l’écran et ce qui le réduit considérablement en lui enlevant
une dimension supplémentaire, celle du hors-champ, c’est-à-dire, pour le
spectateur, celle de l’imaginaire.
Même si les
tendances majeures du cinéma s’éloignent de la simple suggestion, de nombreux
réalisateurs sont influencés par le film de Tourneur. On pense par exemple à Signes, de Shyamalan, qui évite de montrer les extra-terrestres pendant une grande partie du film, se contentant de les suggérer. Shyamalan les
fait entrer progressivement dans le cadre : des indices de présence, des
dessins les représentant, puis une ombre, une main, pour parvenir finalement à l’extra-terrestre de plain-pied dans le salon.
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