Très grand film de Renoir, La Grande illusion éblouit par l’émotion qui se dégage autour d’un
propos de plus en plus dramatique et fascine par sa construction qui propose,
au fur et à mesure du film, de resserrer sans cesse davantage l’intrigue, avec
de moins en moins de personnages, jusqu’à deux petites silhouettes perdues dans
la neige.
Comme à son habitude, Renoir construit un film
esthétique, d’une maîtrise totale, qu’il s’agisse de mouvements de caméra
complexes et profonds pour peindre des mouvements avec de nombreux personnages,
ou dans les moments intimes de la dernière partie.
L’interprétation est exceptionnelle (Renoir est
entouré d’acteurs fabuleux) et les personnages sont devenus légendaires, depuis
Rauffenstein jusqu’à Maréchal en passant par de Boëldieu.
L’histoire passionnante est d’abord un récit de
guerre (mais sans combat : ce sont les personnages et ce qu’ils
représentent qui intéressent Renoir) avec l’épisode dans le camp de prisonniers
où Maréchal et ses compagnons tentent de s’enfuir. Renoir peint avec sa
virtuosité, sa verve et sa truculence habituelles la vie dans le camp, émaillée
de rires ou de moments sombres, de moments insolites et d’autres graves.
Puis l’intrigue se resserre et gagne en
dramaturgie dans la forteresse allemande. Renoir insiste alors sur une
solidarité de classe, qui transcende les nationalités (même en temps de
guerre) : de Boëldieu est plus proche de Rauffenstein, le commandant
ennemi, que de Maréchal, son officier en second. Mais cette solidarité est
elle-même dépassée par la dignité, le sens du devoir : de Boëldieu se
sacrifie sans coup férir pour ses hommes et Rauffenstein accomplit lui aussi
son devoir.
Dans la troisième partie, consécutive à
l’évasion, il ne reste que Maréchal et Rosenthal, le juif, qui seront
recueillis par la jeune Allemande. Le ton dramatique est relevé par l’idylle
naissante entre Maréchal et Elsa.
Renoir, comme souvent, a un raisonnement de
classes et il part d’une vision humaniste construite en idéalisant chaque
personnage dans une vision un peu rousseauiste, les faisant correspondre à un
type (l’aristocrate, le prolétaire, le juif, etc.), mais sans que les traits ne
paraissent trop forcés, et chacun, à sa façon traverse la guerre avec sa dignité,
sa fierté, son humanité. La guerre est d’ailleurs présentée comme le moment où
les classes sont rassemblées et mélangées (avec cette réflexion clef : « chacun mourrait de sa maladie de
classe s’il n’y avait la guerre pour réunir tous les microbes »). Le
Mal semble étranger à cette guerre, comme si elle se faisait malgré les hommes.
Le film suggère que la classe aristocratique (Rauffenstein et de Boëldieu),
lorsqu’elle aura disparu (et on la voit mourante), il ne restera personne pour
faire la guerre. Et pourtant, si Renoir pense qu’une solidarité supranationale
peut engendrer la paix ou l’harmonie (la complicité des officiers autant que la
relation entre le prolétaire Maréchal et Elsa le montrent), il ne se fait pas
d’illusion (le titre recouvrant ainsi le film d’une clairvoyance fondamentale) :
le pacifisme universel qui se dégage du film est teinté d’une amertume lucide.
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