dimanche 30 mars 2014

L'Homme à la caméra (Chelovek s kinoapparatom de D. Vertov 1929)




Film manifeste, L’Homme à la caméra est le chef-d’œuvre de Dziga Vertov, celui dans lequel il parvient au summum de son esthétique du fragment, avec l'idée d'interpréter le réel pour le spectateur. En utilisant le documentaire plutôt que la fiction, Vertov s’éloigne de la narration (par rapport à un Eisenstein par exemple) mais il multiplie les rapprochements, les mises en perspective, les confrontations d’images tournées çà et là, et il les réunit ou les oppose, par des effets de montage variés (jusqu’à l’arrêt sur image, qui fige pour un instant le flux des images), sans chercher d’unité narrative mais en travaillant sur des associations. C'est le cas dans la séquence célèbre où un clignement d’œil en gros plan est montré en alternance avec des persiennes qui s’ouvrent et se ferment et avec l’iris d’un objectif photographique. L’association d’idée est puissante non pas parce que la forme est similaire ou le mouvement d’ouverture/fermeture est identique, mais parce que c’est le principe, le phénomène lui-même qui est ainsi retrouvé. Le montage associe donc des thèmes.
Ou encore : plusieurs plans se succèdent d’athlètes pris sur le vif, en des endroits différents. Par l’accumulation d’images, Vertov cherche à rejoindre les modèles antiques de la statuaire grecque et à représenter l’Athlète. Il procède ainsi en quelque sorte par induction : d’un exemple particulier, qu’il multiplie, il en vient à une considération générale. Il dit ainsi, à propos de son film : « moi, ciné-œil, je crée un homme beaucoup plus parfait que celui qu’à créé Adam, je crée des milliers d’hommes différents d’après différents dessins et schémas préalables ».


Le moment du tournage est désigné (en particulier par cette présence de l’Homme à la caméra, qui choisit et désigne ce qu’il filme) mais le montage est lui aussi signifié (images de la monteuse, du film prêt à être découpé, de photogrammes). C’est en cela que le film est un manifeste (un film « théorique ») pour le théoricien du montage qu’est Vertov (et qui n’a, au contraire, que rarement abordé la question du cadrage). L’homme qui filme et se couche sur les rails, celui qui est à proprement parler « l'homme à la caméra », n’est donc pas le réalisateur présent dans le film : Vertov est présent avant tout dans le montage qu’il crée.



Vertov, figure majeure des recherches des cinéastes soviétiques sur le montage, tout en restant ancré dans le montage discursif soviétique (et dans le montage intellectuel eisensteinien), flirte avec le montage par correspondances : il met en avant les discontinuités de ses images, et les rassemble non pas par des liens narratifs, ni même seulement discursifs,  mais aussi par des échos qui se tissent entre ces images.


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