Très beau film
de Robert Bresson, qui lui donne l’austérité et l’âpreté à laquelle confinent
ses exigences. C’est que son style s’appuie sur une sobriété permanente dans la
mise en scène, avec un minimum d’effets et des acteurs qu’il veut avec le moins
de jeu possible.
Bresson parvient
à dépouiller le film de l’acteur et de son jeu. Il choisit souvent des
interprètes non professionnels (ou débutants) et exige d’eux une théâtralité
anti-naturelle et une neutralité d’être et de tons, d’où des voix blanches et
monocordes (au prix de nombreuses répétitions) pour dire les quelques lignes de
texte. En ce sens Bresson trouve dans l’âne un acteur idéal. L’émotion ne
naîtra pas du jeu de l’acteur, elle ne pourra naître que du dispositif
cinématographique.
De même Bresson
donne une importance fondamentale au son, avec une musique tout à fait absente. Seule
la belle sonate de Schubert est utilisée avec parcimonie et discrétion. Et ce
sont bien plus les bruits qui emplissent la bande son (ils prennent plus de
place que les dialogues), avec, particulièrement, les braiements de Balthazar.
Le découpage fragmente le récit, laissant le spectateur joindre les bouts,
remplir intellectuellement les manques, construire les significations.
Et, de ce
minimalisme austère, une émotion naît à l’image, autour de Balthazar, révélateur
du monde qui l’entoure. C’est là la clef du cinéma de Bresson : le
spectateur doit dépasser l’austérité d’apparence pour atteindre à la signification
puissante du film, très dense, très riche, et qui s’enrichit, même, à chaque
vision.
Bresson fait un portrait
très dur de l’humanité : le monde qu’il nous donne à voir est empli de
vices. Gérard, le voyou qui détruit tout autour de lui, sans que Bresson ne
donne jamais aucune raison à ce comportement, est une représentation du Mal,
présent dans la société et qui la mine. Il détruira toute l’innocence aimante
de Marie et martyrisera Balthazar jusqu’à le perdre. A partir de cette figure,
Bresson balaie ainsi les vices humains, depuis Arnold, l’ivrogne, en passant
par l’avare, et jusqu’au père de Marie, figé dans sa fierté ; le tout sous le
regard énigmatique de Balthazar qui scrute notre humanité et l’interroge.
Balthazar,
témoin, lien entre le profane et le sacré (il est baptisé par les enfants), tantôt ami ou camarade, tantôt maltraité : « C’est
un saint » dit la mère de Marie.
Les seuls moments
où des regards sont rendus à Balthazar sont au zoo : par des jeux de champ
contre-champ, les animaux regardent Balthazar qui les regarde. La mort de Balthazar
(on peut d’ailleurs voir le film comme un film d’initiation, de l’enfance de l’âne
à sa mort) est très belle, : atteint par une balle perdue, il est entouré par un
troupeau de moutons, dans le doux son des tintements de leurs cloches, avec
cette sérénité stoïque qui ne l’aura guère quittée.
Béla Tarr trouve
une source manifeste d’inspiration dans Au
hasard Balthazar, que ce soit dans le regard de l’éléphant, que l’on
retrouvera dans l’œil de la baleine des Harmonies
Werckmeister ou, évidemment, dans Le Cheval de Turin, où le cheval harnaché subit à la fois ses maîtres et les
éléments.
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