jeudi 5 juin 2014

Cris et chuchotements (Viskningar och rop de I. Bergman, 1972)





Film très beau et très dur de Bergman, qui enferme dans un huis clos funèbre une femme mourante, veillée par ses deux sœurs et sa servante.
Filmant la violente agonie d’Agnès, martyrisée par la maladie, Bergman expose ce corps torturé qui se convulse et les gémissements de douleur d’Agnès font bientôt place à des hurlements impossibles à contenir et qui sont le point d’ancrage de Bergman pour dévoiler la vie des quatre femmes. C’est que, figées, les sœurs ne peuvent rien pour Agnès, et il n’y a guère qu’Anna, la servante, qui peut se presser contre elle et lui offrir sa chaleur.
Le film fouille alors la vie glacée des sœurs, passe derrière leur apparence et les met à nu. Bergman, comme le médecin le fait avec le visage de Maria (dans une séquence exceptionnelle), dissèque les vies des sœurs, révèle les non-dits tus trop longtemps et profondément cachés derrière les apparences de l’aristocratie. Toute la fausseté et la superficialité du monde se fait alors jour.

A l’âpreté éprouvante de l’agonie d’Agnès, répond la forme austère et concise de Bergman, qui saisit les regards, s’attarde sur les visages et les scrute. On pense à Lévinas, qui, dans sa philosophie, insiste sur l’importance du visage dans la relation à autrui.


Bergman enferme ses personnages dans une puissante couleur rouge, omniprésente, et improbable qui recouvre tout. Ce rouge qui fait écho à la maladie d’Agnès, à la tentative de suicide du mari de Maria, à la mutilation de Karin et, de façon générale, aux entrailles et au corps féminin en souffrance. Jusqu’aux tentures pourpres qui sont comme des saignements. Et Bergman insiste : c’est par des fondus au rouge que le film glisse dans les souvenirs de chacune…


Dans ce monde de femmes bientôt révélé, la domination des hommes, dure et sèche, se fait jour. Le face à face de Karin et de son mari, dans un repas glacial, suivi de sa mutilation volontaire pour échapper à son désir, est une séquence fascinante et magistrale.
Et, passé l’enterrement, tout le rigorisme des couples refait surface. Aussitôt les sœurs ne parviennent plus à communiquer. Il n’est que le journal d’Agnès, lu une fois qu’elle est morte par Anna après sa mise à la porte sans ménagement, que la vie – rêvée, fantasmée, ressentie – se dessine.

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