Comédie très réussie des frères Coen, qui
continuent de faire le tour des genres pour mieux les dynamiter. Le film brille par un ton potache, complètement décalé et parfois proche de l’absurde. S'il n'a que modéremment marché à sa sortie, il est pourtant bientôt devenu culte, notamment au travers de sa figure centrale – et magistrale – du Dude, campée par un Jeff Bridges extra et inoubliable.
Les frères Coen montrent leur grand éclectisme,
après le très bon Fargo, polar noir, froid et glacé, où tout semble figé. Ici c’est tout l’opposé : la
comédie frôle le burlesque, on rit des tentatives grotesques d’enlèvement,
d’extorsion ; on sent les réalisateurs rire derrière leur caméra lors des séquences
au bowling.
La fine équipe au bowling (The Dude, Donny et Walter) |
L’intrigue, totalement décousue, prend appui sur un quiproquo qui est le prétexte à une visite disjonctée dans les différentes strates sociales de Los Angeles. Les frères Coen jouent avec l'argument classique d'Hitchcock qui est de mettre un homme ordinaire dans une situation extraordinaire (avec le cas d'école de La Mort aux trousses, qui démarrait aussi sur un quiproquo). Le film reprend l'autre idée tout aussi hitchcockienne du MacGuffin (cet élément du scénario qui a une importance pour les personnages mais par pour les spectateurs : les microfilms chez Hitchcock, ici le tapis du Dude), MacGuffin qui allume la mèche de l'intrigue. Mais l'homme ordinaire choisi par les frères Coen – et ils sont même deux si l'on veut bien considérer le génial Walter comme indissociable du Dude – est bien loin du Cary Grant classe et décontracté de Hitchcock : ici il est une espèce de hippie tardif qui se promène en robe de chambre
et cherche à rester peinard dans sa
petite vie, américain moyen, typique des frères Coen.
C'est que leur cinéma est empli de ces personnages spectateurs du monde et qui
cherchent à s'en sortir mais, dès qu'ils veulent prendre les choses en main, n'y
arrivent pas et s'enfoncent. C'était le cas dans Fargo, c’est le cas ici aussi
où ce sont catastrophes sur catastrophes que les deux compères provoquent. C'est que ces personnages – autre trait très coenien – produisent la narration elle-même : ce sont leurs actions (le plus souvent vaines) qui font avancer le récit qui, en dehors d'eux, n'existent pas.
A leur
façon les frères Coen reprennent donc le genre immense du polar et le marie avec l'autre genre immense de la comédie américaine (enfin, genre qui fut immense,
aujourd’hui il est largement dévoyé), secouent le tout comme dans un shaker et l’utilisent pour brosser un portrait savoureux de l’Amérique. Et l'on sent combien les frère Coen
aiment leurs personnages, savent mettre une touche de mélancolie dans leur regard sur eux, sans qu'il n'y ait jamais de condescendance. Et l'on rit avec eux de Jesus qui lèche sa boule de bowling, des envolées délirantes de Walter ou de la fulgurance vaine du Dude qui griffonne le bout de papier comme Cary Grant le faisait intelligemment chez Hitchcock. Mais là le dessin révélé n’est qu'un gribouillage pornographique : l'effet déceptif très drôle illustre parfaitement la manière de faire, à la fois décontractée, intelligente et savoureuse des frères Coen.
Et, comme toujours chez les frères Coen, leur films emplis de personnages doivent beaucoup aux acteurs impeccables : ici Jeff Bridges mène la barque, accompagné d'un John Goodman truculent et de toute une ribambelle d'acteurs aussi charismatique les uns que les autres (avec Ben Gazzara en prime !) qui donnent une coloration incroyable au film.
Jeff Lebowski fait ses courses... |
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