Les Rapaces
est un chef-d’œuvre mutilé et que, dans un sens, personne n’a jamais vu. Stroheim
a proposé un premier montage de 9h, puis d’autres montages suivront, de plus en
plus courts, jusqu’à l’actuel de 2h30. Difficile dès lors de juger du rythme
initial que voulait Stroheim, de l’équilibre des séquences dont certaines sont
tronquées quand elles n’ont pas disparu. Mais le génie spécifique de Stroheim
s’exprime néanmoins.
Stroheim parvient à saisir, avec une
acuité et une force inouïe, l’essence profonde de ses personnages, celle qui
les contraint : il les montre dévorés par leur nature primitive, qui s’exprime
par les ravages de l’alcoolisme ou de l’avarice. La crudité de son regard apparaît directement dans certaines scènes, par exemple lorsque, derrière le prêtre
qui marie MacTeague et Trina, on voit passer le cortège d’un enterrement.
Derrière le prêtre qui officie, un cortège funèbre passe |
De même, lors du repas de noces, les convives en train de manger sont filmés en gros
plans effrayants. On retrouve alors le même regard que celui de Zola dans L'Assommoir lorsqu'il raconte un même repas de noces.
Le repas de noces |
Pour G. Deleuze, Stroheim est un cinéaste
naturaliste, c’est-à-dire un cinéaste qui, dans ses films, s’éloigne du couple classique
situation-action (où la perception d’une situation par les personnages provoque
des actions de leur part qui vont modifier la situation de départ) pour opposer
deux mondes différents : le monde réel, actuel, celui auquel appartiennent les
personnages ; et le monde originel, celui où sont rattachées leurs pulsions
(la pulsion pour l’or par exemple). Et c’est par des indices disséminés dans le
film – des indices en terme d’images – que le monde originel est évoqué dans
le film.
A la fin du film, quand MacTeague et Marcus sont extraits du monde réel pour revenir à celui des pulsions, la plongée dans le désert, représente alors un retour vers le monde originel, C’est
ainsi que Stroheim parvient à montrer combien ces pulsions qui habitent MacTeague ou
Marcus sont à la fois irrépressibles et dévastatrices : elles font partie de leur être même.
Cette dernière séquence dans le
désert (qui coûta une fortune et dont le tournage fut très éprouvant) est
exceptionnelle. La puissance des images – MacTeague et Marcus se battent à mort
au cœur de la Vallée de la Mort – est intacte : sous le soleil cru et écrasant,
le destin de MacTeague se scelle impitoyablement.
L'or tant convoité, désormais tâché de sang |
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