Très bon film de Xavier Dolan qui
montre un incroyable maîtrise de la mise en scène (Dolan n’a alors que 23
ans !). Son style lyrique explose : il éclaire ou rythme
ses images à loisir, s’écarte ou se rapproche de ses personnages, joue avec sa
narration (de grands flash-backs sont imbriqués les uns dans les autres), envoûte
avec une bande-originale remarquable, le tout sur une longueur hors norme
(2h47) et sur un sujet difficile.
Le film, en effet, suit le parcours
de Laurence, professeur québécois, qui annonce à sa petite amie Fred qu’il veut
devenir la femme qu’il s’est toujours senti être. Il décide alors de franchir
le pas et de s’habiller en femme, de se vivre femme. Le film explore alors la
réaction de la société, de sa famille, et surtout de Fred, à ce changement
d’apparence de Laurence.
Plus qu’un film sur la
transsexualité (on est assez loin, malgré le thème, des films d’Almodovar),
c’est un film qui réfléchit à ce qu’est la marge par rapport à la norme.
Et, au-delà des réactions diverses de
la société (acceptation du changement par un ami collègue, mais rejet par l’institution ;
regards dans la rue ; remarques ou agressions diverses ; choc frontal –
dans un premier temps – avec la mère de Laurence), c’est le devenir de sa vie
avec Fred qui est au centre du film. Ce que suppose le choix de Laurence (non pas son choix de se sentir être une femme, mais celui de décider de vivre comme une femme) c’est de devoir renoncer à Fred alors qu’ils s’aiment. C’est
là que la norme est réellement testée. Fred, au plus profond d’elle-même ne
parvient pas à accepter que Laurence se sente une femme, malgré leur amour et
bien qu’ils ne puissent vivre l’un sans l’autre. C’est là qu’est la résistance,
c’est là que Laurence ne peut être heureux en femme, non pas tant par la
société qui le rejette (il est déterminé à vivre selon son ressenti malgré les
regards et l’ostracisme), mais par sa relation devenue impossible avec Fred. La question en exergue sur l'affiche (« Will the woman he wants love the woman he wants to be » ?) montre bien l'importance clef de cet aspect. La question est complexe d'autant plus que la mère de Laurence, qui s'opposait frontalement à ce changement de son fils, lui explique, des années plus tard, voir en lui une fille qu'elle aime.
La norme profonde
est donc celle qui est inscrite en Fred et l'empêche de continuer à vivre avec Laurence, malgré son tempérament tout feu tout flamme
et exacerbé, malgré son amour pour Laurence.
C'est ainsi que Laurence anyways dépasse les autres films qui traitent de ce thème de la marginalisation (et qui s'arrêtent bien souvent à la norme à l'échelle de la société) en allant explorer, à l'intérieur des individus les plus proches, les réactions intimes qui se font malgré soi.
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