C’est un film
étourdissant, devant lequel – pour qui sait voir – on reste à la fois stupéfait et estomaqué. Aussi
bien dans le déroulement du drame, que devant le délire fabuleux et inépuisable
de toute la longue séquence dans le château, avec les intrigues des maîtres et
des valets qui se croisent et se superposent, avec la mise en abîme du cinéma,
avec la dissection aiguë de la société, et, bien sûr, la frénésie folle qui
émane du film.
On sait que le film est
passé par mille maux avant et après sa réalisation, depuis le choix des acteurs
jusqu’aux coupures de post-production. On sait aussi combien il fut rejeté
avant d’être réhabilité et devenir un film mythique. Sa facture est
éblouissante, son propos dur et très dense.
Les personnages en sont
maintenant légendaires, les acteurs collant à leur rôle. Renoir lui-même – qui
avait conscience de ses limites en tant qu’acteur – joue un Octave à la fois
drôle et pathétique qui parvient à lier entre eux les différents niveaux du
drame : il est l'ami de Madame, tout en courtisant avec légèreté Lisette.
Une histoire d’amour –
un amour sincère et tragique – traverse le film. Elle permet à Renoir de
déambuler dans une société légère, décadente, tout en perte de repères. Cette
décadence est l’expression pour Renoir des désastres à venir – désastres qu’il
pressentait.
Renoir s’inspire des Caprices de Marianne, et, comme Musset, oriente sa comédie vers le drame. Renoir choisit donc un ton de comédie pour décrire
la décadence qui conduit à la tragédie : l’assemblage des deux tons est au
cœur de son idée.
Mais on n’a pas ici
l’idée d’un film parfait, loin s’en faut. C’est plus une truculence incroyable
que le déroulement exceptionnel d’une histoire. Quand on pense à un film
parfait on pense à certains films de Hitchcock ou de Mizoguchi ou encore, en
France, au Jour se lève de Carné. Mais Renoir a ce génie, cette folie créatrice merveilleuse.
C’est un film que l’on peut
revoir infiniment. Claude Chabrol explique l'avoir vu une centaine de fois et François Truffaut disait à son propos qu’on pourrait le voir tous les
jours, pour voir s’il s'y passait les mêmes choses.
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