Très bon film de
Spielberg, qui parvient à secouer le spectateur avec une (relative) économie de
moyens. En fait les moyens sont présents et visibles dans la dernière séquence,
mais, pendant une grande partie du film le talent de Spielberg lui permet de
jouer très efficacement sur l’attente, la surprise ou le hors-champ.
L’intelligence de la construction du film produit un suspense grandissant et
oppressant. Tout n’est que suggestion pendant la première heure du film et on
ne voit le fameux requin qu’ensuite, jusqu’aux dernières séquences, très
spectaculaires. Le succès colossal du film montre l’efficacité de la patte de
Spielberg.
L'image fameuse, montrant une nageuse par en-dessous, suggérant le requin qui va fondre sur elle, est une citation de L’Étrange Créature du Lac noir de J. Arnold.
Et Spielberg laisse aller sa maestria à de nombreux moments, que ce soit dans le fameux travelling compensé fixé sur Roy Scheider qui surveille la plage ou dans la dernière partie du film où il construit parfaitement l'étau du requin qui se resserre progressivement autour du bateau. Bateau sacrifié par Quint, le chasseur de requins, qui entraîne peu à peu Brody et Hooper dans sa folie.
Ce personnage de
Quint doit beaucoup au capitaine Achab et on comprend que la traque du requin prenne
pour lui des proportions dantesques : son terrible récit de la guerre (où
il s’est trouvé, parmi d’autres marins, perdu en mer et attaqué par des
requins) montre combien son âme est rongée de haine. On retrouve la folie
peinte par Melville dans Moby Dick : « En se précipitant sur le monstre, couteau au poing, Achab n’avait
guère fait qu’obéir à une soudaine et furieuse animosité toute physique ; et
lorsqu’il avait reçu le coup qui l’avait déchiré, il n’avait vraisemblablement
ressenti que le martyre de la lacération charnelle et rien d’autre. Mais
lorsque, après ce choc, il avait été forcé de virer de bord et de mettre le cap
sur sa maison ; lorsque pendant d’interminables jours et de longues semaines
et des mois infinis, Achab et son angoisse avaient partagé le même hamac,
allant en plein hiver doubler le sinistre et hurlant cap de Patagonie, ah !
c’est alors que son corps déchiré et son âme poignardée avaient saigné l’un
dans l’autre, et, se confondant, l’avaient rendu fou. »
Ce film a eu
aussi un impact immense de par son succès : il a montré que l’été était,
contrairement à ce que pensaient les producteurs, une très bonne période pour
sortir un film. On ne compte plus, depuis Les
Dents de la mer, les films précisément sortis à cette période pour tenter
de connaître le même destin. Devant l’énormité du succès financier (le film
rapporta en salle près de cinquante fois son budget), on peut considérer qu’on
tient là le premier blockbuster.
Ces grosses
superproductions américaines, destinées à envahir les écrans de par le monde
(après un déferlement promotionnel parfois effarant), si elles sont souvent abrutissantes
et fabriquées pour rapporter un maximum d’argent, peuvent parfois être de très
bons films, comme c’est le cas ici. Mais il faut dire aussi que Spielberg, qui
est à bien des égards LE réalisateur de blockbusters (terme pris ici dans le sens de superproductions que vient soutenir une énorme campagne de promotion), est un réalisateur
exceptionnel.
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