Chef-d’œuvre de Mizoguchi qui décrit un Japon
féodal malmené et encore rivé à des valeurs anciennes. La perfection de Mizoguchi éblouit à chaque
plan. Sa mise en scène est limpide et sereine : son talent de conteur est
à son apogée (le film est tourné au cœur d’une période extrêmement créatrice de
Mizoguchi où, en deux ans, il réalise quatre films exceptionnels).
Il parvient à captiver et à émouvoir en emportant
le spectateur au XIème siècle, dans un univers où les valeurs morales sont
encore féodales, fondées sur la verticalité d’une violence maître-esclave.
On suit la trajectoire de Zushio et de sa sœur
Anju, trajectoire qui impose de traverser le temps et les épreuves, comme un
lent parcours initiatique. Et le film ne joue pas sur des rebondissements, mais
sur un ensemble d’étapes successives.
Tout est terrible dans cette trajectoire : leur capture enfants, la dureté impitoyable de Sansho (il marque ses
esclaves au fer rouge ou les torture – autant de scènes suggérées et traitées
hors-champ par Mizoguchi), le sacrifice de Anju, jusqu'aux retrouvailles
finales de Zushio avec sa mère, séquence qui emmène le film – malgré sa
tristesse – vers un accomplissement éblouissant d'émotion.
Même si le film est centré sur des protagonistes
masculins, ce sont des femmes – comme si souvent chez Mizoguchi – qui permettent
le renversement de la société en place : d’une part Anju qui se sacrifie, mais
aussi leur mère qui, au loin, ressasse sa comptine tant et plus qu’elle parvient
aux oreilles de ses enfants. Toutes deux parviendront à infléchir Zushio qui,
progressivement tombé sous la coupe de Sansho, retrouvera les valeurs de son père
pour les imposer.
Le suicide d'Anju |
La portée symbolique du film est
extraordinaire, d’autant plus que Mizoguchi ne donne aucune leçon au spectateur
(malgré le thème central bien tentant de l’esclavage). Il ne cherche pas des solutions
à l’injustice ou à l’esclavage mais il cherche à casser les repères mis en
place dans la société qu’il décrit, société en ruine, en transition, où les
anciennes valeurs (celles de l’Intendant) vont pouvoir laisser place,
progressivement, aux valeurs du père de Zushio (valeurs qui, au début du film,
lui ont valu son exil). Le cœur du film est l’itinéraire de Zushio plus que la
recherche d’une morale sociale. La démission de Zushio après qu’il a été nommé gouverneur est révélatrice : son itinéraire n’est pas encore achevé, quand bien même il a aboli l’esclavage.
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