Très grand film de John Huston
(peut-être son meilleur) bien qu’il se passe d’une véritable histoire :
c’est plutôt une double errance, celle de deux quidams, qui sont de petits
boxeurs, l’un plus vieux de dix ans par rapport à l’autre. Dix ans, c’est un
monde, en boxe (la différence entre une carrière qui débute et une carrière
finie), et c’est un gouffre immense entre ces deux paumés. Car ce sont bien deux
paumés, l’un, Tully (Stacy Keach), avachi et acceptant son sort, l’autre, Ernie (Jeff Bridges), qui croit encore
que les choses iront mieux : sa vie est faite de petits boulots et de
tristes matchs de boxe, mais il espère encore.
On ressent à quel point ces dix ans pèsent toute une vie, quand on voit, assis côte à côte, Tully et Ernie. On ne sait si Tully incarne le passé et
Ernie le présent ou Tully le présent et Ermie l’avenir. En fait il semble bien qu’il
n’y ait plus ni présent ni avenir : tout est dissout, les vies de chacun d’eux –
comme celle du vieux barman tremblotant qui les sert – sont achevées.
Tully (Stacy Keach) et Ernie (Jeff Bridges) |
Steacy Keach est exceptionnel. Il incarne l’épave désabusée qu’est Tully, qui, un
jour va travailler dans les champs pour ramener quelques dollars, un autre jour s’acoquine avec une pauvre femme incapable et saoule (extraordinaire Susan
Tyrrell), reprend ses gants un autre jour encore comme s'il y croyait mais
retombe aussitôt. A travers lui Huston filme l’Amérique de l’échec, d’un ton
juste et tragique. Ici la boxe n’est pas un moyen de s’extirper socialement (comme dans beaucoup de films sur le thème), elle n’est qu’un minuscule
miroir aux alouettes (Tully, s’il fut pro, ne fut jamais grand boxeur). L’Amérique,
une nouvelle fois, est lucide sur ce qu’elle est.
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