Somptueux film
burlesque, Le Mécano de la
« General » est aussi un film d’aventures, sans cesse en mouvement,
et, bien entendu, un film de guerre. Sans se départir de sa drôlerie, c’est un réquisitoire
très dur contre la guerre, où l’agitation vaine et destructrice des armées qui
courent en tous sens et les généraux ridicules sont dénoncés par Keaton.
La construction
visuelle du film est fascinante, elle associe le mouvement de la locomotive, les
espaces à franchir (multiplication de la relation poursuivi-poursuivant) et des
jeux graphiques saisissants (ligne des rails, des travers, des obstacles, des poteaux
ou du front, le tout s’entrecroisant dans des effets visuels répétés). Keaton-acteur
est tout aussi génial. Son incroyable vitalité d’acrobate contraste avec son
impassibilité légendaire et les situations et les gags s’enchaînent. Et son
personnage, héros malgré lui, indifférent au fond au sort des autres ou de la
guerre, veut simplement et humblement s’occuper de sa machine et retrouver sa
dulcinée. Et Keaton mélange dans un cocktail comique l’adresse du professionnel
qui maîtrise sa machine et les mille et une maladresses qui émaillent le film,
rajoute le hasard qui vient à la rescousse du héros dépassé et joue avec la
figure de l’anti-héros (qui se moque de l’engagement dans la guerre et
accomplit des exploits guerriers malgré lui ou avec facilité).
Il faut
remarquer la particularité du comique de Keaton, très différent de la majorité
des autres réalisateurs burlesques, à commencer par Chaplin. En effet le
burlesque suit le plus souvent un schéma narratif précis qui déclenche le
rire : c’est la confusion entretenue entre deux actions très semblables
mais qui renvoient à des situations très différentes. On voit par exemple
Charlot de dos, et, abandonné par sa femme, il semble secoué de sanglots. Mais
on découvre, dès qu’il se retourne, qu’il agite en fait un shaker et se prépare
un cocktail. Le rire naît de la confusion des actions qui renvoient à des
situations opposées (tristesse/joie).
Chez Keaton, au
contraire, le rire naît de l’écart entre la situation donnée et l’action qui
s’y déroule. Et la situation, le plus souvent, implique un paysage ou des
décors gigantesque, qui constituent un tout englobant, dans lequel, minuscule,
se débat le personnage joué par Keaton. Et le rire naît ou bien des gags à rebondissements
qui s’enchaînent (ce qu’on a pu appeler le « gag-trajectoire ») ou
bien de l’intervention, très fréquente chez Keaton, de machines, souvent
gigantesques. Et ces machines sont sources de gags et de cascades improbables (en
plus d’être un véritable partenaire dans Le
Mécano). Ajoutons que le réalisme des cascades (ici il s’agit d’un vrai
train et d’un vrai pont qui sont démolis).
Le comique de
Keaton est donc à ce titre très différent du burlesque de Chaplin. Son
personnage ne maîtrise pas l’environnement qui cherche sans cesse à l’expulser du cadre et l’oblige à mille acrobaties pour s’y maintenir, à l’inverse de ce qu’on
observe chez Chaplin.
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