Extraordinaire
film de guerre de Coppola qui, dans un opéra démesuré et gigantesque, entraîne
jusqu’au plus profond de la jungle, cœur de la folie des hommes. Le film est
comme un long trip hallucinogène, semi-cauchemardesque, semi-délirant. Depuis
la célèbre séquence d’ouverture (Martin Sheen imbibé d’alcool et moite de sueur
dans sa chambre, la musique des Doors, les pales des hélicoptères, les
explosions de napalm) jusqu’au final magistral avec la noirceur folle de
Brando, Coppola traverse de part en part la guerre.
Le
capitaine Willard (Martin Sheen) est une clef du film. Il constitue un personnage
principal très passif (ce qui est presque antinomique dans les films de guerre),
témoin en retrait et renfermé sur lui-même. Il poursuit sa quête en remontant simplement
le cours du fleuve, comme une route toute tracée, et il parvient au colonel
Kurtz (Marlon Brando), énigmatique et complexe, qui se livrera à lui. Le
rapprochement entre les deux hommes (rapprochement opéré tout au long du film par
Willard étudiant le dossier de Kurtz), constitue sans doute le cœur du film. Et
le bateau, qui se sera enfoncé toujours avant dans la jungle, parviendra, au cœur
du cœur de la jungle et de la guerre jusqu’à Kurtz, à demi-fou, à demi-dieu, régnant
sur une tribu, hors du temps, hors de la guerre elle-même. Le génie de Coppola explose
ici, dans ce film qui transcende son genre (celui des films de guerre) et l’emporte
dans une autre dimension, celle de la folie humaine. On rejoint ici Aguirre, la colère de Dieu : on
contemple la folie, on la touche du doigt même.
Le capitaine Willard arrivant au cœur du cœur de la jungle |
Comme
souvent chez Coppola, la direction d’acteurs est exceptionnelle : Martin Sheen,
dont la voix off rythme lentement le récit, Robert Duvall, dont le personnage
du colonel Kilgore rejoint la lignée de ceux qui n’existent que par la guerre (et
que l’on retrouve dans Cote 465, Les Nus et les morts ou, plus tard, Capitaine Conan) et évidemment M. Brando,
dans une composition noire, délirante et fascinante.
Le colonel Kurtz, demi-dieu niché au cœur de la jungle |
La
démesure de Coppola se ressent tout au long du film, au travers de la bande
originale (de l’opéra de Wagner au rock psychédélique des Doors), des
personnages tonitruants (le colonel Kilgore qui ne jure que par le surf et l’odeur
du napalm), de moments baroques (la rencontre des français le long du fleuve,
le spectacle proposé aux GI).
Coppola s’offre même une mise en abyme remarquable (au-delà des conditions de tournage
parfois dantesque – décors détruits, infarctus de M. Sheen) : il interprète
lui-même le reporter de guerre enjoignant aux soldats de ne pas regarder la
caméra et de bien jouer leur rôle de soldat.
Et
il ne faut pas oublier que le génie de Coppola est aussi dans son éclectisme
éblouissant : celui d’avoir réalisé des films aussi brillants et
différents que Le Parrain, Conversation secrète, Dracula ou Apocalypse Now.
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