vendredi 27 janvier 2017

L'adaptation au cinéma : une certaine tendance du cinéma français (article de François Truffaut)



Article fondamental de F. Truffaut (paru dans Les Cahiers du cinéma, janvier 1954) qui étrille la Tradition de la Qualité, qu’il oppose aux films d’auteurs. Il s’intéresse ici aux scénaristes (en particulier Jean Aurenche et Pierre Bost) qui adaptent des romans. Il leur reproche de produire, in fine, des œuvres parfaitement calibrées, aux thématiques récurrentes et qui distillent les idées de leurs scénaristes, dépassant en cela parfois les idées de l’auteur du roman. Et, surtout, il explique combien ces films de scénaristes sont loin de ce que savent faire de vrais créateurs d’images.

Il oppose ainsi les réalisateurs véritables créateurs d’images (Renoir, Bresson, Clouzot, Tati, Ophüls, etc.) aux réalisateurs qui ne font que mettre en images mécaniquement un scénario (Autant-Lara, Allégret, Delannoy, etc.) :

« […]
De l'adaptation telle qu'Aurenche et Bost la pratiquent, le procédé dit de l'équivalence est la pierre de touche. Ce procédé suppose qu'il existe dans le roman adapté des scènes tournables et intournables et qu'au lieu de supprimer ces dernières (comme on le faisait naguère) il faut inventer des scènes équivalentes, c'est-à-dire telles que l'auteur du roman les eût écrites pour le cinéma.
[…]
Ce qui me gêne dans ce fameux procédé de l'équivalence c'est que je ne suis pas certain du tout qu'un roman comporte des scènes intournables, moins certain encore que les scènes décrétées intournables le soient pour tout le monde. Louant Robert Bresson de sa fidélité à Bernanos, André Bazin terminait son excellent article : La stylistique de Robert Bresson, par ces mots : "Après le journal d'un curé de campagne, Aurenche et Bost ne sont plus que les Viollet-Leduc de l'adaptation." 
[…]
Aurenche et Bost n'ont pu faire Le Journal d'un curé de campagne parce que Bernanos était vivant. Robert Bresson a déclaré que, Bernanos vivant, il eut pris avec l'œuvre plus de liberté. Ainsi l'on gêne Aurenche et Bost parce qu'on est en vie, mais l'on gêne Bresson parce que l'on est mort.
[…]
Ces équivalences ne sont qu'astuces timides pour contourner la difficulté, résoudre par la bande sonore des problèmes qui concernent l'image, nettoyages par le vide pour n'obtenir plus sur l'écran que cadrages savants, éclairages compliqués, photo léchée.
Cette école qui vise au réalisme le détruit toujours au moment même de le capter enfin, plus soucieuse qu'elle est d'enfermer les êtres dans un monde clos, barricadé par les formules, les jeux de mots, les maximes, que de les laisser se montrer tels qu'ils sont, sous nos yeux. L'artiste ne peut dominer son œuvre toujours. Il doit être parfois Dieu, parfois sa créature.
[…]
Lorsqu'ils remettent leur scénario, le film est fait ; le metteur en scène, à leurs yeux, est le monsieur qui met des cadrages là-dessus... et c'est vrai, hélas ! »

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