Article
fondamental de F. Truffaut (paru dans Les Cahiers du cinéma, janvier 1954) qui étrille
la Tradition de la Qualité, qu’il oppose aux films d’auteurs. Il s’intéresse
ici aux scénaristes (en particulier Jean Aurenche et Pierre Bost) qui adaptent
des romans. Il leur reproche de produire, in
fine, des œuvres parfaitement calibrées, aux thématiques récurrentes et qui
distillent les idées de leurs scénaristes, dépassant en cela parfois les idées
de l’auteur du roman. Et, surtout, il explique combien ces films de scénaristes
sont loin de ce que savent faire de vrais créateurs d’images.
Il oppose ainsi les
réalisateurs véritables créateurs d’images (Renoir, Bresson, Clouzot, Tati, Ophüls,
etc.) aux réalisateurs qui ne font que mettre en images mécaniquement un scénario
(Autant-Lara, Allégret, Delannoy, etc.) :
« […]
De l'adaptation telle
qu'Aurenche et Bost la pratiquent, le procédé dit de l'équivalence est la
pierre de touche. Ce procédé suppose qu'il existe dans le roman adapté des
scènes tournables et intournables et qu'au lieu de supprimer ces dernières
(comme on le faisait naguère) il faut inventer des scènes équivalentes,
c'est-à-dire telles que l'auteur du roman les eût écrites pour le cinéma.
[…]
Ce qui me gêne dans ce
fameux procédé de l'équivalence c'est que je ne suis pas certain du tout qu'un
roman comporte des scènes intournables, moins certain encore que les scènes
décrétées intournables le soient pour tout le monde. Louant Robert Bresson de
sa fidélité à Bernanos, André Bazin terminait son excellent article : La
stylistique de Robert Bresson, par ces mots : "Après le journal d'un curé
de campagne, Aurenche et Bost ne sont plus que les Viollet-Leduc de
l'adaptation."
[…]
Aurenche et Bost n'ont pu
faire Le Journal d'un curé de campagne parce que Bernanos était vivant. Robert Bresson a déclaré que,
Bernanos vivant, il eut pris avec l'œuvre plus de liberté. Ainsi l'on gêne
Aurenche et Bost parce qu'on est en vie, mais l'on gêne Bresson parce que l'on
est mort.
[…]
Ces équivalences ne sont
qu'astuces timides pour contourner la difficulté, résoudre par la bande sonore
des problèmes qui concernent l'image, nettoyages par le vide pour n'obtenir
plus sur l'écran que cadrages savants, éclairages compliqués, photo léchée.
Cette école qui vise au
réalisme le détruit toujours au moment même de le capter enfin, plus soucieuse
qu'elle est d'enfermer les êtres dans un monde clos, barricadé par les
formules, les jeux de mots, les maximes, que de les laisser se montrer tels
qu'ils sont, sous nos yeux. L'artiste ne peut dominer son œuvre toujours. Il
doit être parfois Dieu, parfois sa créature.
[…]
Lorsqu'ils remettent leur
scénario, le film est fait ; le metteur en scène, à leurs yeux, est le monsieur
qui met des cadrages là-dessus... et c'est vrai, hélas ! »
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