Très bon film de Clint Eastwood, qui délivre un discours
humaniste classique mais de façon très habile. En effet Eastwood n’hésite pas à
mettre en scène un personnage principal épouvantablement misanthrope, aigri,
violent et raciste. Refermé sur lui-même, dans la solitude de son veuvage et
dans son passé de soldat qui le hante, Walt Kowalski reste à grommeler sur son
perron d’où il maudit le monde, à commencer par ses voisins Hmong, ces
« têtes de citron » venus jusque chez lui.
Même si, bien entendu, Eastwood n’en reste pas là en faisant
évoluer son personnage, on voit mal, en France, un producteur accepter de
financer un film basé sur un tel héros. On pense à plusieurs scènes où la
violence raciste du personnage éclate, sans recours à l’humour ou à d’autres
artifices qui viendraient adoucir le propos. Et pourtant c’est sur cette base
de anti-héros nette et assumée que l’histoire trouvera sa force. Une force
transmissive, puisque Walt Kowalski finira par considérer Thao comme son fils,
alors qu’il rejette ses enfants et petits-enfants, produits dégénérés de l’Amérique.
La communauté Hmong sortira Walt de son enfermement et Walt
participera de leur intégration : c’est bien Thao, le fils d’immigré, qui hérite
de la Gran Torino, symbole puissant de l’Amérique. La haine violente de Walt
Kowalski est donc renversée brillamment par Eastwood qui l’utilise en un éloge
de l’Altérité, au travers des bénéfices de la confrontation entre ces deux
mondes qui s’ignoraient. Il faut tout le talent et l’habileté d’Eastwood pour y
parvenir. Et le film propose une réflexion intéressante entre ceux qui font la
violence (Walt, les gangs) et ceux qui la subissent, notamment les Hmong, que
ce soit au Viêt Nam ou en Amérique.
Le film, réalisé et interprété par un Eastwood de presque 80
ans, est aussi un grand regard du réalisateur en arrière. Son personnage,
évidemment, pourrait être l’inspecteur Harry à 80 ans, avec la même
misanthropie, le même racisme, le même repliement sur soi (de même que, dans Impitoyable, William Munny pourrait être
un avatar vieillissant de l’Homme sans nom ou de Blondin, qui peuplaient les
westerns de Sergio Leone). On imagine sans mal Dirty Harry crachant sur cette
Amérique dégénérée et sortant son fusil pour qui viendrait marcher sur sa
pelouse. C’est ainsi que, sans le dire, en un bel hommage, il offre à Dirty
Harry une fin magnifique.
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