jeudi 14 décembre 2017

Dunkerque (Dunkirk de C. Nolan, 2017)




Très intéressant film de Christopher Nolan, qui surprend par l’approche qu’il choisit dans ce film de guerre relatant le sauvetage miraculeux de l’armée britannique, coincée à Dunkerque en septembre 1940.
C’est qu’il s’agit d’un véritable miracle, fait de guerre dont même les états-majors n’osaient rêver : l’objectif était de sauver 30 ou 40 000 hommes, c’est plus de 300 000 qui seront rapatriés.
Nolan rend compte de ce miracle en montrant combien la compréhension de ce qui s’est passé a pu échapper aux différents protagonistes, qu’il s’agisse des simples soldats coincés sur les plages ou des Anglais venant les aider, soldats aviateurs ou simples citoyens en bateau, ou encore des têtes pensantes de l’amirauté (représentées ici par le commandant Bolton, qui n’est pas un personnage historique). Nolan construit son film autour de trois groupes de trois personnages, qui sont autant de réactions au cœur de la guerre : la volonté de survie du soldat en perdition, le courage du soldat qui va au combat, la force morale des citoyens qui viennent à la rescousse, parce que tel est leur devoir.



Ces soldats qui cherchent à s’échapper, ces aviateurs qui viennent combattre et ces simples citoyens anglais, réquisitionnés en désespoir de cause, constituent autant de trajectoires que Nolan découpe et entrecroise. Il joue – comme il aime le faire (on l’a vu par exemple dans Memento ou Inception) – avec une construction emboîtée complexe et qui ne prend forme que progressivement. Le personnage joué par Cillian Murphy, un des acteurs fétiches de Nolan, est sur ce point révélateur : on le voit longtemps prostré dans un bateau, tremblant de peur, détruit par la guerre et on ne découvre que beaucoup plus tard qu’il était encore, la nuit d’avant, un officier calme, expérimenté, décisif, dirigeant une chaloupe remplie de naufragés. De même les aviateurs survolent un bateau que l’on ne verra partir de la plage que beaucoup plus tard et l’un des aviateurs, en perdition, ne sera secouru que bien après. Ces destins entrecroisés, tragiques – dans chaque groupe d’hommes la mort prend sa part – dessinent une toile géométrique (avec les files des soldats qui attendent, les traînées des avions, le filet des torpilles, etc.) et abstraite tant, de cet entremêlât, ne nait pas de direction commune et manifeste.
C’est là sans doute la substance de ce miracle, advenu on ne sait comment, dépassant les prévisions les plus optimistes, contre le cours de la guerre, contre l’évidence et la logique.

Le film souffre cependant d'un problème d'échelle : on comprend mal, à voir les quelques bateaux venant d'Angleterre, à voir les trois Spitfire qui viennent au combat (quand il y eut des milliers de raids pour couvrir les plages) et à voir les quelques files de soldats qui attendent sur la plage, que plusieurs centaines de milliers d'hommes ont été sauvés dans cette opération. Alors certes Nolan joue de l'abstraction et prend de biais le problème en jouant avec des symboles, mais, tout de même, à l'image, le rendu interpelle.
On regrette aussi une certaine froideur de l’image, qui naît de la perfection numérique : à croire que la chaleur qui enveloppait le cinéma a aujourd’hui disparu, enterrée par le rendu exceptionnel du moindre grain de poussière ou de la moindre imperfection d’un costume. Peut-être que, pour un film du passé, sur cette période filmée sur le vif et déjà racontée dans mille autres films, ce rendu ultra-réaliste ne convient pas et donne un je-ne-sais quoi d’artificiel et distant. Et cette perfection réaliste de la photo fait attendre, du point de vue du spectateur, une perfection dans la reconstitution, ce qui, malheureusement n'est pas le cas (ni ici ni dans aucun film, même les plus attachés à être réalistes). Signalons, par exemple, concernant les attaques en avion, la jauge de l'avion de Farrier inexplicablement détruite (par une balle ? Pourtant son cockpit n'a pas de trace d'impact) ; ou encore l’altitude, beaucoup trop faible, à laquelle les Spitfire traversent la Manche, ou la dernière attaque sur un Stuka avec un avion quasiment en vol plané, etc.



Si Nolan, grand spécialiste de films d’action a pu pécher par le passé en cherchant à philosopher au-dessus de son niveau (dans Interstellar notamment), il n'en reste pas moins qu'il trouve ici une expression de la guerre à la fois très intéressante et virtuose, qui dépasse la simple scène d’action, qui se dispense de longs dialogues et qui exprime parfaitement son point de vue sur cet événement précis – à la fois singulier et décisif – de la seconde guerre mondiale.


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