lundi 19 mars 2018

Cria cuervos (C. Saura, 1976)




Très beau film de Carlos Saura qui peint, au travers de la petite Ana, un très beau portrait d’enfant. Ana, hantée par le souvenir de sa mère morte, et qui traîne ce désespoir de l’enfance. Comme un petit fantôme qui traverse la maison de nuit, qui mélange à ses jeux de tous les jours des pulsions morbides, qui pense avoir empoisonné son père (qu’elle juge responsable de la mort de sa mère), qui propose à sa grand-mère paralysée de l’aider à mourir (évoquant Allemagne année zéro) et qui tente d’empoisonner sa tante, trop loin d’elle et, surtout, qui fait partie du monde de son père (elle s’acoquine avec un militaire), et dans laquelle elle ne retrouve rien de sa mère.



Saura, avec beaucoup d’habileté, construit son film dans le huis-clos de la maison madrilène (simplement entrecoupé de l’escapade en campagne et de l’image finale optimiste) et il mélange le présent et le futur, à travers des plans fixes d’Ana devenue grande qui se raconte (Ana adulte est jouée, comme sa mère, par Géraldine Chaplin, ce qui entraîne une confusion entre passé et présent, et, même, entre présent et futur, puisque Ana a neuf ans dans le présent du film, Ana adulte est un donc une image du futur). L’ensemble a une teinte triste et mélancolique, un peu figée comme un souvenir évoqué.



Dépassant la simple histoire d’Ana, le film évoque aussi, comme un double fond, la période traversée par l’Espagne qui en finit avec le franquisme et aborde une transition pleine d’espoir vers la République. Le père d’Ana qui meurt en début de film est ainsi une métaphore de Franco, qui tient l’Espagne dans sa main de fer depuis trente ans et qui meurt lorsque le film est tourné. La mère d’Ana, artiste et femme délaissée par son mari, est une image de cette Espagne écrasée et empêchée de vivre, coincée dans le satrape franquiste. La grand-mère dans son fauteuil, qui contemple les vieilles photos de sa jeunesse, est l’Espagne d’avant Franco et Ana, du haut de ses neuf ans, déjà contestataire et emplie d’une colère froide, est une image de l’avenir de l’Espagne, qui se révolte contre le franquisme (Ana va même pointer une arme chargée contre sa tante et le militaire ami de son père).
L’image finale, avec les sœurs qui sortent, enfin, de la maison madrilène au son de la douce musique de Porque te vas de Jeanette – tout à la fois douce et triste mais rythmée – est une image d’espoir pour l’Espagne qui va, enfin, pouvoir se remettre à revivre après la dictature.

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