Premier grand chef d’œuvre de Fritz Lang, Docteur Mabuse parvient à tenir en haleine tout au long des 4 heures 30
de film, tout en promenant le spectateur des bas-fonds de Berlin à ses soirées
aristocratiques, en passant par les casinos clandestins aussi bien que les
prisons.
Formellement le film de Lang est d’une variété exceptionnelle : il parvient à construire une esthétique qui passe d’un réalisme cru
(avec des rues sordides, telles qu’on en retrouvera chez Pabst) à une
esthétique plus expressionniste (mais de façon mesurée et uniquement ponctuelle,
au travers de quelques décors ou de quelques éclairages, alors que le cinéma
allemand est très influencé par le caligarisme de Wiene), mais il innove aussi (l’influence des arts primitifs chez le comte Told) et joue des lumières
d’une façon déjà très personnelle, particularité que l’on retrouvera jusque dans sa période américaine (dans J’ai le droit de vivre
par exemple). Alternant des plans larges fixes, qui permettent aux personnages
de se jauger tant et plus, avec des plans rapprochés ou même des gros plans qui
permettent de fixer tel ou tel détail mais aussi d’entrer plus
avant dans la psychologie des personnages, Lang parvient à équilibrer
complètement son récit et à tenir en haleine : le rythme ne faiblit jamais malgré
la durée. Et les trucages en surimpression viennent parfaitement aliéner les
personnages, face au pouvoir manipulateur de Mabuse qui s’empare de leur
volonté.
Il faut dire aussi que le récit – inspiré du roman-feuilleton (évoqué
au travers du découpage en actes) – se prête à une multitude d’actions et de
rebondissements, puisque le polymorphe Mabuse manipule à tout va, et développe sans
cesse de nouveaux plans machiavéliques.
Le personnage de Mabuse (parfaitement interprété par Rudolf
Klein-Rogge, expressif mais sans outrance) apparaît comme un monstre qui impose
sa volonté à ses victimes. Fort de son formidable pouvoir (que Lang se garde
bien d’expliquer), il joue comme ses victimes, mais non pas à des jeux
d’argent, mais, comme il le dit lui-même, avec les hommes et les destins.
Plusieurs séquences où il impose sa volonté à celui qui lui fait face sont
extraordinaires, comme l’arnaque contre Hull, celle contre von Wenck lui-même, ou le coup de force de la représentation théâtrale. Lang joue parfaitement
de trucages efficaces ou de fermetures à l’iris pour isoler ces yeux qui
vrillent l’esprit de la pauvre victime. La manière dont Lang montre le comte
Told avec Mabuse un peu plus loin qui le fixe par derrière est fascinante.
Il
faut remarquer que les victimes de Mabuse sont toutes (sauf von Wenck qui
cherche à le coincer) issues d’une société montrée comme décadente : elles sont dépendantes du jeu ou s’ennuient, se consacrant à des passe-temps décrits comme futiles.
Le regard de Lang sur le Berlin des années 20 est très dur sur ce point. Et si
Mabuse impose sa volonté si facilement c’est aussi, sans doute, parce que ces
représentants de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie sont des esprits
faibles et avilis d’une façon ou d’une autre. La puissance de Mabuse est alors
fondée sur la faiblesse de ses victimes et sur leur consentement plus ou moins
conscient. Mabuse, offre alors pléthore de métaphores pour
tenter de comprendre l’état de cette société qui a pu engendrer un pareil monstre.
Lang continuera d’ailleurs son analyse en reprenant le personnage de Mabuse,
notamment dans Le Testament du docteur
Mabuse : la métaphore politique se fait alors encore plus nette.
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