Western réussi et qui fait plaisir à voir. Il faut dire
que les westerns qui prennent à bras le corps des thèmes du genre pour en
retravailler les motifs sont devenus bien rares. On est loin ici des versions
italianisantes de westerns anciens (le récent Les Sept mercenaires) qui n’apportent rien au genre si ce n’est de
faire faussement croire que les grandes heures du western sont à chercher du
côté du western italien (1) et qu’un western n’est qu’un affrontement un peu
enfantin de gentils et de méchants.
Scott Cooper propose un film construit sur un équilibre
assez conventionnel aujourd’hui : un ensemble assez calme (et même lent)
interrompu par des explosions de violences brèves mais crues. La séquence
pré-générique, avec le déferlement des Comanches sur la petite famille, donne
le ton.
Le film, ensuite, revisite très directement Les Cheyennes de J. Ford. La trame
principale est la même (un vieux chef Cheyenne entouré des siens veut retourner
mourir dans sa terre natale) et la période est similaire (c’est le difficile
moment de transition post-guerres indiennes, où le territoire n’est pas encore
pacifié, où les Indiens sont parqués progressivement dans des réserves, où
l’Armée essaye de ne plus penser l’Indien comme un sauvage à abattre, tout en
essayant de mettre la main sur les dernières bandes qui sillonnent le
territoire).
Si le film de Ford était basé sur une course-poursuite, ici
l’idée est différente puisque l’armée accompagne les Indiens. On retrouve
néanmoins un important thème commun puisque Ford explorait le rôle de l’armée
qui a décimé les Indiens avant de les laisser pourrir dans des réserves. Ici
c’est le capitaine Blocker (Christian Bale, très bon avec son jeu très sobre) qui
personnifie toute la haine et les massacres. Blocker a en effet participé à
bien des batailles où il a pu casser de l’Indien (on apprendra même qu’il était
à Little Big Horn). Il fait penser au capitaine Conan : il est un de ces
guerriers jusqu’au-boutistes nécessaires pour gagner une guerre. Il a la même moustache
fournie, la même dureté, la même efficacité au combat. Et la question est identique :
la guerre étant finie (bien que, ici, ce ne soit pas encore tout à fait la
paix), que deviennent ces soldats « massacreurs » ?
C’est évidemment la trajectoire du capitaine Blocker qui devient
le centre du film : le voilà à devoir guider des Indiens, lui qui ne
demande qu’à les massacrer sans coup férir. La petite troupe chemine alors à
travers l’Ouest américain (on passe du désert à la forêt) avec pour ennemis des
Comanches déchaînés, des trappeurs ou, bien sûr, cette haine historique entre
Blancs et Indiens, tapie dans l’ombre (et qui sera incarnée par le sergent
Wills).
On retrouve dans Hostiles
une scène importante, qui donne l’humeur au film entier, lorsque le bras droit
de Blocker, le sergent-chef Metz, raconte sa lassitude et explique que son
temps a passé, qu’il ne peut plus vivre avec cette culpabilité (il a lui
aussi tué des Indiens tant et plus) et qu’il lui faut quitter l’armée. Il se
heurte à un Blocker arc-bouté sur ses haines. Le film, à partir de ce moment, on
le sent très bien, va montrer comment Blocker va sortir de ce carcan pour
comprendre que le temps des massacres et des vengeances (il a perdu bien des
amis dans ces batailles rangées contre les Indiens) est passé. On trouve dans Les Cheyennes une scène similaire, où le
sergent Wichowsky explique à son capitaine (Richard Widmark) qu’il ne veut plus
être soldat si c’est pour continuer à massacrer des Indiens. Les deux films
s’appuient donc sur la même prise de conscience que le temps des massacres est
terminé.
Et si l’on sait bien que le capitaine va évoluer, reste à
savoir comment il va évoluer. Et c’est là que le film est très intelligent. Il
met en effet en scène – sous la forme du sergent Wills, déserteur prisonnier
dont l’escorte se joint à la petite troupe – un alter-ego de Blocker : ce
soldat prisonnier est en effet un ancien compagnon d’arme. Son personnage évoque L’Appât où la différence entre le chasseur de prime et le prisonnier (ancien compagnon d’arme là aussi) ne se faisait plus. Mais lui,
à la différence du capitaine, ne se pose aucune question : un bon Indien
est et restera toujours un Indien mort.
L’évolution décisive
du capitaine se fera en voyant le sacrifice du sergent-chef : celui-ci
rattrape l’alter-ego de Blocker qui s’était échappé, le tue et se suicide dans
la foulée.
C’est là que Blocker comprend que son combat appartient au
passé et que ses haines n’ont plus lieu d’être. Blocker en fait, est un Ethan Edwards qui se découvre. Il va alors utiliser sa violence et sa terrible
efficacité non plus contre les Indiens mais pour les Indiens. Dans les
séquences finales ce sont des propriétaires racistes qu’il lui faudra
affronter. On remarquera que l’objectif du capitaine n’est pas franchement une
réussite puisque si le vieux chef indien meurt bien sur ses terres, le reste de
sa famille se fait massacrer.
La toute fin est réussie : non pas qu’elle surprenne,
mais c’est par une mise en scène inspirée – un très long plan fixe au ralenti –
que Cooper parvient à nous épargner un sentimentalisme qui semblait inévitable.
Le film évoque aussi pêle-mêle Josey Wales hors-la-loi, avec cette troupe disparate qui se
constitue au fur et à mesure, et la présence de Rosalie Quaid, rescapée de
l’attaque initiale, évoque d’abord Le Soldat bleu puis, surtout, Le Fantôme de Cat Dancing, dans l’incongruité d’une femme blanche bien mise qui accompagne
une bande de militaires et d’Indiens.
Hostiles, en reprenant des thèmes déjà abordés par le genre et qu’il
retravaille à son tour, montre par-là que le western n’est pas mort. Non simplement
l’univers et les codes du genre, mais le western en tant qu’il est le genre
principal qui permet de discuter de l’Amérique, de son passé complexe et de ses
cadavres enfouis malgré lesquels il a bien fallu construire une nation.
(1) : Redisons-le, le western est un genre américain, qui
parle d’américanité, qui discute de ce qu’est l’Amérique, qui travaille des
thèmes qui sont consubstantiels à l’Amérique. Il y est en effet question de la
confrontation à la Frontière, de la conquête d’un espace, de communautés à unir,
etc. Dès lors il est tout à fait évident, que, transporté en Italie, le genre
s’en trouve, de fait, complètement dévitalisé. Il ne reste plus que l’enrobage, avec lequel Sergio Leone s’est démarqué. Mais l’ADN du western est
américain.
________________________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire