Par son style incroyable – à bien des égards unique – et
ses choix techniques radicaux (le film est construit en trente-neuf
plans-séquences, la plupart très longs et très lents), Bela Tarr happe
immédiatement le spectateur : on entre dans son film comme on pénètre une
cathédrale inconnue.
Après une première séquence qui relie, de façon étrange et
virtuose, le destin du village avec la cosmogonie la plus large (le soleil et
les planètes en orbite), le récit emporte progressivement Janos, et le village
avec lui, dans un étrange chaos, reflet d’une guerre venue d’on ne sait où (et
dictée par le mystérieux prince), qui déchire et massacre à tout va.
La virtuosité des plans n’est pas une démonstration
technique (bien qu’elle soit effectivement une performance technique), elle est
une immersion, progressive dans un univers. Certains plans sont
somptueux : les uns très simples (la lente arrivée – hypnotique – du
tracteur dans la ville), d’autres complexes (les scènes de foule). La caméra
vole doucement, comme en apesanteur ou en lévitation, autour de ses
personnages laissés à eux-mêmes dans le plan, parcourant le décor ou se lançant
dans de longs monologues. Ainsi le musicologue Ezster, oncle de Janos, qui
disserte sur la pureté de la musique et sur l’erreur d’avoir laissé à
Werckmeister le soin de subdiviser l’harmonique en unités égales qui ne signifient plus
rien.
Et, au-delà du village, des villageois, de Janos – rendu fou
–, ce sont les harmonies infinies du monde qui devront plier : l’oncle qui
ne jurait que par l’harmonie pure et infinie devra de nouveau accorder son piano selon les théories de Werckmeister… De même que la baleine, monstre inouï venu
de l’océan infini, est laissée à pourrir sur place.
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