mardi 27 mars 2018

2046 (Wong Kar-wai, 2004)




Film envoûtant de Wong Kar-wai, qui peut se regarder comme un film unique ou bien comme une conclusion au triptyque composé de Nos années sauvages et In the Mood for Love, dont on retrouve, entremêlés, des personnages et des événements.
Le film est une plongée dans les souvenirs de Chow Mo-wan, qui repense, comme elles lui reviennent, aux femmes qu’il a rencontrées et aux occasions qu’il a laissé s’échapper. Dans une recherche du temps perdu manifeste (il dira même « il y a quelques années, je tenais mon happy-end et je l’ai laissé échapper »), il cherche à retrouver les temps forts du passé et les moments de basculement. Il revoit les visages, les lieux (les fameuses chambres 2046 puis 2047), les attentes, les joies et les tristesses.



Si l’idée d’un train qui fonce en ligne droite semble d’abord être l’idée maîtresse de la narration, le film est conçu comme un labyrinthe dans lequel Chow déambule, avec, omniprésente, cette époustouflante maîtrise du cadre de Wong Kar-wai. Il multiplie les cadres dans le cadre, puisqu’il ne cesse de découper le cadre, de recentrer ses personnages, d’en masquer la moitié ou les trois-quarts derrière une cloison ou une porte entrouverte. Il crée ainsi cette atmosphère de déambulation, dans des souvenirs à demi-effacés et qui reviennent peu à peu, avec, notamment, cette idée d’une mémoire lacunaire, qui oublie des éléments et en conserve d’autres. A ces jeux de mémoire, Chow mélange ses propres romans, dans lesquels se mélangent la fiction et la réalité de sa vie (Jing-wen devenant un androïde dans son roman).
Wong Kar-wai construit un palais dédié aux images issues de la démarche de Chow qui cherche à se souvenir : il filme les soupirs des femmes tristes, les volutes de fumée, les personnages figés et les moments perdus, ceux qui ne comptent pas, à fumer une cigarette sur la terrasse de l’hôtel, en étant accoudés derrière l’enseigne.



La vista visuelle de Won Kar-wai envahit le film : chaque plan est travaillé par un angle de caméra particulier, une lumière, un cadrage, un mouvement, une vitesse (il joue avec des ralentis francs et d’autres beaucoup moins marqués). Il colle les uns aux autres ces fragments de mémoire, comme autant de nappes de passés qui se chevauchent, se dissolvent en partie, se rattachent les unes aux autres par des motifs (les deux Su li Zhen), des lieux (les chambres de l’hôtel, le tripot), des moments (les repères de date qui se rejoignent ou se font écho), des sons (l’opéra). On retrouve l’esthétisme typique du réalisateur, très douce et onirique, avec toujours cette teinte désuète particulière (le Hong-Kong des années 60), mélangée ici avec l’univers futuriste du train fonçant à pleine allure. La bande-son envoûte elle aussi avec, en fils rouges, un thème aux violons (qui évoque forcément la mélodie de In the Mood for Love) et le merveilleux Casta Diva de Bellini. 2046 devient ainsi un opéra visuel et sonore éblouissant assorti d’une idée force (une plongée dans les souvenirs : « si un jour tu échappes à ton passé, viens me retrouver ») qu’épouse merveilleusement le style de Wong Kar-wai.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire