Monumental documentaire de Wang Bing
qui immerge le spectateur dans les derniers moments d’un vieux quartier
industriel. Il filme un monde qui disparaît. Dans cette zone industrielle en
passe d’être désaffectée, c’est toute la vie des ouvriers qui s’achève. Il n’y
a plus aucune ambition, aucune possibilité d’autre vie. Les gigantesques
bâtiments sont vides et commencent à rouiller, les ouvriers se recroquevillent
dans leurs baraquements : le présent du film semble déjà appartenir au passé.
Dans Shoah, Lanzmann filmait le présent et y faisait revenir le passé, ici Bing filme un présent qui semble déjà un passé accompli : tout est terminé, il n’y a plus rien à faire, l’immensité industrielle s’est vidée.
Wang Bing a partagé durant de longues
années cet univers avec les ouvriers, captant avec sa caméra des centaines
d’heures de leur vie quotidienne, de leur va et vient de tous les jours, de
leurs fêtes un peu tristes, de leurs petites revendications, de leur désarroi.
Il se veut un témoin neutre, n’interviewant pas les protagonistes, se
contentant de les laisser agir. Il travaille par des plans très longs, où
il laisse aux ouvriers le temps de parler, de s’exprimer à leur rythme, de
contenir leur silence, d’exploser de colère ou d’achever une dernière tâche, en
un dernier mouvement rituel. Il filme aussi très longuement, en de lents
panoramiques contemplatifs – images qui se superposent parfois à la parole et
parfois s’en détachent – les lieux, suivant le trajet d’un dernier train ou
montrant l’immensité du hangar que le vide fait résonner.
Wang Bing, malgré cette neutralité de
point de vue qu’il recherche, impose un style particulier à son image. Au-delà
de son choix de plans très longs, on voit souvent des cadrages particuliers,
qui ne sont pas imposés par les circonstances et qui sont directement un choix
du réalisateur : il laisse hors-champ tel ouvrier qui parle, il choisit un
plan large qui donne la même importance à toutes les personnes, celle qui parle
n’étant pas mise en avant, un peu comme si c’était l’échelle collective et non
individuelle qu’il cherchait à capter. Il propose aussi, parfois, des cadrages
un peu de biais, construisant une géométrie à laquelle répondent les rails qui se
croisent au sol ou les murs qui dessinent autant de lignes que le cadre vient
briser. Le léger tremblement de la caméra portée (net choix du réalisateur qui
aurait tout aussi bien pu, pour ses longs plans fixes, utiliser un trépied), le
choix de laisser la caméra être par moment totalement embuée ou encore les nombreuses
contre-plongées, sont autant de figures choisies qui construisent peu à peu un
style, rare dans le cadre du documentaire, et qui participe de la poésie
étrange, lente et triste, qui se dégage progressivement, au fur et à mesure de
la projection.
Wang Bing interrompt le plan quand la scène est arrivée à son terme, que le silence se fait, que la rupture est ressentie, il l’interrompt aussi quand il sent que le rythme du film le demande, pour mettre en résonance telle image avec telle autre, tel son avec tel monologue, telle lumière crue d’une ampoule avec telle ombre d’un bâtiment. On voit alors combien le montage constitue le geste décisif de Wang Bing qui équilibre son film, qui choisit, coupe un plan, laisse s’étirer un autre et s’écarte de toute chronologie.
La neutralité voulue par Wang se retrouve dans son absence de discours moralisateur : il ne fait que capter, prendre les choses telles qu’elles sont. Sa patte est dans son style, dans son montage complexe mais pas dans une dialectique qui voudrait que son documentaire porte un message. C’est ainsi qu’apparaît tout l’art du réalisateur chinois : il s’en remet à l’image pour dire, il s’en remet à ce que sa caméra a capté, cette parcelle de réalité, crue et sinistre, mais sans volonté de changer les choses, sans militer, sans rien faire d’autre que voir et montrer.
Dans Shoah, Lanzmann filmait le présent et y faisait revenir le passé, ici Bing filme un présent qui semble déjà un passé accompli : tout est terminé, il n’y a plus rien à faire, l’immensité industrielle s’est vidée.
Wang Bing interrompt le plan quand la scène est arrivée à son terme, que le silence se fait, que la rupture est ressentie, il l’interrompt aussi quand il sent que le rythme du film le demande, pour mettre en résonance telle image avec telle autre, tel son avec tel monologue, telle lumière crue d’une ampoule avec telle ombre d’un bâtiment. On voit alors combien le montage constitue le geste décisif de Wang Bing qui équilibre son film, qui choisit, coupe un plan, laisse s’étirer un autre et s’écarte de toute chronologie.
La neutralité voulue par Wang se retrouve dans son absence de discours moralisateur : il ne fait que capter, prendre les choses telles qu’elles sont. Sa patte est dans son style, dans son montage complexe mais pas dans une dialectique qui voudrait que son documentaire porte un message. C’est ainsi qu’apparaît tout l’art du réalisateur chinois : il s’en remet à l’image pour dire, il s’en remet à ce que sa caméra a capté, cette parcelle de réalité, crue et sinistre, mais sans volonté de changer les choses, sans militer, sans rien faire d’autre que voir et montrer.
Bonjour, un documentaire que j'ai vu lors de sa sortie (en deux parties). Remarquable de bout en bout. C'est une expérience qui vaut la peine. Du même réalisateur, j'en ai vu un autre, Les trois soeurs du Yunnan (un documentaire déchirant). Bon dernier jour de l'année.
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