lundi 20 mai 2019

La Collectionneuse (E. Rohmer, 1967)





Troisième des films d’Éric Rohmer inscrits dans ses Six contes moraux, La Collectionneuse met en scène – comme souvent chez Rohmer – des personnages qui tournent en rond, discutent, s’interrogent, hésitent, se donnent des postures et n’aboutissent finalement à peu près à rien.
Adrien – centre du récit dans une position de dandy assez hautaine – et Daniel se targuent d’un état d'esprit de vacances proche de l’otium antique : leur oisiveté se veut une position morale difficile (ne rien faire est présenté comme une performance plus difficile que le travail…) et philosophique. Les belles ambitions d’Adrien, qui nous gratifie en voix off du commentaire de ses avis et ressentis, seront balayées par l’arrivée d’Haydée.
Haydée perturbe à la fois parce qu’elle est une incarnation d’une grâce qui saisit Adrien – grâce révélée d’emblée dans un des prologues –, et aussi par son action : elle « collectionne » les hommes, croit comprendre Daniel. Pourtant Haydée, derrière cette légèreté ingénue, cache une complexité qui ne se révèle pas au premier abord et que les deux compères ne saisissent pas.


Bien qu’ils s’en défendent, Adrien et Daniel entrent dans une lutte qui tourne autour d’Haydée : lutte déniée (ils s’affichent désintéressés et méprisants) mais qui les obnubile de plus en plus. Adrien, par sa belle morale, se croit au-dessus du vil attrait, mais sa petite rationalisation se fracasse contre le mur de la réalité : non seulement il veut qu’Haydée le désir (il lui prête mille intentions détournées du fait de ce prétendu désir) mais il veut être son préféré. Si Rohmer, en fait, filme un personnage qui se raconte une histoire, Adrien – qui se targue d’analyser finement ses relations à autrui – passe complètement au travers, par excès d’orgueil, par une incapacité à sentir les choses et en restant fixé sur son point de vue.

Fidèle à son style habituel, Rohmer offre beaucoup de place aux personnages, mais il laisse des espaces vides dans son film, des silences, des moments perdus. Il construit une ambiance d’été, dans cette Provence chaude et ensoleillée, avec la maison ouverte, les herbes folles, les chants d’oiseaux, l’eau sur la petite plage et, aussi, les corps longilignes, affalés ou lascifs. Il laisse ainsi une possibilité au réel de faire irruption dans son film – comme une vérité du monde qui s’invite tout à coup, en marge du récit lui-même. Cela semble fonctionner par instants fugaces (c’est là que La Collectionneuse est un Rohmer intéressant : la plupart du temps rien ne surgit de ses films), mais le lent fil des événements reprend le dessus et l’on retourne presqu’aussitôt vers ce trio oisif qui déambule.

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