Troisième des films d’Éric Rohmer inscrits dans ses Six contes
moraux, La Collectionneuse met en
scène – comme souvent chez Rohmer – des personnages qui tournent en rond,
discutent, s’interrogent, hésitent, se donnent des postures et n’aboutissent
finalement à peu près à rien.
Adrien – centre du récit dans une position de dandy assez
hautaine – et Daniel se targuent d’un état d'esprit de vacances proche de l’otium
antique : leur oisiveté se veut une position morale difficile (ne rien
faire est présenté comme une performance plus difficile que le travail…) et
philosophique. Les belles ambitions d’Adrien, qui nous gratifie en voix off du
commentaire de ses avis et ressentis, seront balayées par l’arrivée d’Haydée.
Haydée perturbe à la fois parce qu’elle est une incarnation
d’une grâce qui saisit Adrien – grâce révélée d’emblée dans un des prologues –,
et aussi par son action : elle « collectionne » les hommes,
croit comprendre Daniel. Pourtant Haydée, derrière cette légèreté ingénue,
cache une complexité qui ne se révèle pas au premier abord et que les deux
compères ne saisissent pas.
Bien qu’ils s’en défendent, Adrien et Daniel entrent dans
une lutte qui tourne autour d’Haydée : lutte déniée (ils s’affichent
désintéressés et méprisants) mais qui les obnubile de plus en plus. Adrien, par
sa belle morale, se croit au-dessus du vil attrait, mais sa petite
rationalisation se fracasse contre le mur de la réalité : non seulement il
veut qu’Haydée le désir (il lui prête mille intentions détournées du fait de ce
prétendu désir) mais il veut être son préféré. Si Rohmer, en fait, filme un
personnage qui se raconte une histoire, Adrien – qui se targue d’analyser
finement ses relations à autrui – passe complètement au travers, par excès
d’orgueil, par une incapacité à sentir les choses et en restant fixé sur son
point de vue.
Fidèle à son style habituel, Rohmer offre beaucoup de place aux
personnages, mais il laisse des espaces vides dans son film, des silences, des
moments perdus. Il construit une ambiance d’été, dans cette Provence chaude et
ensoleillée, avec la maison ouverte, les herbes folles, les chants d’oiseaux,
l’eau sur la petite plage et, aussi, les corps longilignes, affalés ou lascifs.
Il laisse ainsi une possibilité au réel de faire irruption dans son film –
comme une vérité du monde qui s’invite tout à coup, en marge du récit lui-même.
Cela semble fonctionner par instants fugaces (c’est là que La Collectionneuse est un Rohmer intéressant : la plupart du
temps rien ne surgit de ses films), mais le lent fil des événements reprend le
dessus et l’on retourne presqu’aussitôt vers ce trio oisif qui déambule.
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