Beau film de Maren Ade, d'où il ressort une étrange combinaison, qui mélange la froideur de la vie de la
fille Ines et la chaleureuse comédie du père. Et c’est bien sûr cette figure du
père qui trône au-dessus du film, père facétieux à la mission bien
comprise : redonner un peu de vie à sa fille, cadre carriériste
désincarnée et engoncée. L'habileté du scénario étant que l'un et l'autre sont dépressifs, sombres et, quelque part, tout à fait brisés.
Le film a ainsi
une étonnante tonalité : il fait sourire, quand bien même le nombre de
scènes drôles est assez rare, mais il y a toujours cette présence
incongrue du père, dont on ne sait ce qui en sortira, qui irradie le film (et irradie
aussi, progressivement, la fille).
L’amusante scène
de la réception nue constitue à la fois le climax du film et le moment de
retournement ou plutôt le moment où Ines sort de son univers vide et faux. Au-delà
de la signification un peu facile (Ines, en se mettant à nu, abandonne la
fausseté pour la franchise et, ce faisant, quitte le bal des hypocrites), c’est
la spontanéité à demi-gênée et à demi-évidence avec laquelle elle se déshabille
qui est très réussie. Son père, bien sûr, est là, comme un immense totem, sans
rien dire, sans rien demander (c’est bien là sa force). Il sait qu’il a bien
réussi son coup, au dernier moment sans doute, Ines n’étant pas loin d’être irrécupérable. Le film devient alors un film sur le pouvoir du rire, du décalage et de la marginalité de comportement : Maren Ade scrutant le remède (le père qui fait irruption comme un chien dans un jeu de quilles) autant que la conséquence du remède (fissurer la coquille lisse et glaciale de Ines).
On regrette un
peu que, comme trop souvent dès qu’il est question d’un regard sur le monde
économique, le film oublie son ton juste et bien trouvé pour taper avec
facilité et caricature sur le capitalisme qui est montré, invariablement, comme
inhumain et violent : tous les collègues de Ines (absolument tous, sans qu’il y
ait la moindre hésitation à ce sujet) sont des calculateurs froids, égoïstes et
hypocrites ; tel patron licencie un ouvrier d’un claquement de doigt ;
les réunions sont des paniers de crabes où l’on se plante allègrement des
couteaux dans le dos et Ines elle-même n’est pas loin de se prostituer pour
garantir un contrat.
C’est un peu
dommage, il n’était nul besoin de portraiturer un monde à si gros traits et
sans jamais la moindre nuance pour y faire débouler l'improbable Toni Erdmann, avec sa
perruque et sa prothèse dentaire.
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