lundi 3 février 2020

Toni Erdmann (M. Ade, 2016)




Beau film de Maren Ade, d'où il ressort une étrange combinaison, qui mélange la froideur de la vie de la fille Ines et la chaleureuse comédie du père. Et c’est bien sûr cette figure du père qui trône au-dessus du film, père facétieux à la mission bien comprise : redonner un peu de vie à sa fille, cadre carriériste désincarnée et engoncée. L'habileté du scénario étant que l'un et l'autre sont dépressifs, sombres et, quelque part, tout à fait brisés.
Le film a ainsi une étonnante tonalité : il fait sourire, quand bien même le nombre de scènes drôles est assez rare, mais il y a toujours cette présence incongrue du père, dont on ne sait ce qui en sortira, qui irradie le film (et irradie aussi, progressivement, la fille).
L’amusante scène de la réception nue constitue à la fois le climax du film et le moment de retournement ou plutôt le moment où Ines sort de son univers vide et faux. Au-delà de la signification un peu facile (Ines, en se mettant à nu, abandonne la fausseté pour la franchise et, ce faisant, quitte le bal des hypocrites), c’est la spontanéité à demi-gênée et à demi-évidence avec laquelle elle se déshabille qui est très réussie. Son père, bien sûr, est là, comme un immense totem, sans rien dire, sans rien demander (c’est bien là sa force). Il sait qu’il a bien réussi son coup, au dernier moment sans doute, Ines n’étant pas loin d’être irrécupérable. Le film devient alors un film sur le pouvoir du rire, du décalage et de la marginalité de comportement : Maren Ade scrutant le remède (le père qui fait irruption comme un chien dans un jeu de quilles) autant que la conséquence du remède (fissurer la coquille lisse et glaciale de Ines).


On regrette un peu que, comme trop souvent dès qu’il est question d’un regard sur le monde économique, le film oublie son ton juste et bien trouvé pour taper avec facilité et caricature sur le capitalisme qui est montré, invariablement, comme inhumain et violent : tous les collègues de Ines (absolument tous, sans qu’il y ait la moindre hésitation à ce sujet) sont des calculateurs froids, égoïstes et hypocrites ; tel patron licencie un ouvrier d’un claquement de doigt ; les réunions sont des paniers de crabes où l’on se plante allègrement des couteaux dans le dos et Ines elle-même n’est pas loin de se prostituer pour garantir un contrat.
C’est un peu dommage, il n’était nul besoin de portraiturer un monde à si gros traits et sans jamais la moindre nuance pour y faire débouler l'improbable Toni Erdmann, avec sa perruque et sa prothèse dentaire.


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