jeudi 9 avril 2020

J'accuse (R. Polanski, 2019)




Film très réussi de Roman Polanski qui réussit à captiver malgré un scénario dont on connait le dénouement (ce à quoi condamne le sujet du film). Mais il faut dire que l’histoire est racontée selon le point de vue original d'un officier des renseignements, ce qui nous fait une affaire Dreyfus presque sans Dreyfus (comme si Polanski refusait la voie un peu facile de raconter l'affaire selon le point de vue dreyfusard).
Ainsi, même si on entrevoit Zola, le titre est trompeur : J'accuse n'a rien à voir avec l’écrivain et son fameux article. Le titre du roman dont s’inspire le scénario (An Officer and a Spy de Robert Harris) correspond bien davantage au film (1).

Ce n'est donc ni le personnage de Dreyfus qui intéresse Polanski, ni l'affaire Dreyfus (dont l’issue est racontée en fin de film, à grands coups de résumés elliptiques), ni même le scandale fameux qu'a provoqué l'engagement de Zola. C’est Picquart qui l’intéresse, l’officier aux ordres, à la progression de carrière fulgurante, qui, progressivement, va douter et, ce faisant, devenir de plus en plus ambigu : Picquart  se bat pour l'armée et non pour Dreyfus, et encore, uniquement quand il n'a plus rien à perdre (ses doutes sur la culpabilité de Dreyfus ont d’ores et déjà condamné son avancement). C’est alors seulement qu’il dévoile ce qu’il sait (lui qui a pu voir le dessous des fameuses preuves qui n’en étaient pas) et, finalement, il va obtenir gain de cause et promotion.
Ministre, il balaie Dreyfus d'un revers de main devant ses demandes. Cette dernière scène est d’ailleurs cruciale pour bien comprendre le personnage qui apparaît alors comme n’ayant jamais été totalement désintéressé. Si l’on comprend bien qu’il ne se bat pas pour l’honneur de Dreyfus mais bien plus pour celui de l’armée, c’est aussi la cause du désespoir qu’il va épouser.

La construction à coup de flash-backs marche parfaitement et certaines séquences sont très réussies : la séquence d’ouverture, la lecture de la lettre de Zola par les différents protagonistes visés ou encore cette belle idée de faire d’un immeuble délabré le QG de l'espionnage militaire, en une belle métaphore de la bassesse de ce travail.

Le film bénéficie aussi de la très bonne interprétation de Jean Dujardin qui, manifestement, se bonifie avec le temps : lui qui, d’ordinaire, en fait toujours trop, il est ici très sobre, avec une composition tout en retenue. Il tient très bien le personnage.  Mais la grosse moustache d'époque l’aide en changeant complètement sa physionomie, de même que la rigidité du port d'officier qui achève de coincer l'acteur et l'empêche de faire ses facéties.
Il faut noter aussi la belle galerie de portraits que brosse Polanski, avec de nombreux petits personnages historiques qui sont tous parfaitement caractérisés, joliment campés, et qui densifient considérablement le film.






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(1) : Notons également que J’accuse se rattache très peu à Polanski lui-même, malgré le titre qui, sans doute, participe de la confusion : le film n’est en rien une dénonciation du traitement populaire et médiatique qui lui est fait.
D’ailleurs, si l’idée de Polanski avait été de se servir de Dreyfus, cela eût été une bien mauvaise idée, puisque le cas de Dreyfus est très différent de son cas : Polanski n'a pas été condamné par erreur, ni avec de fausses preuves, ni au travers d'un complot. Il est bien davantage un condamné sans jugement (jugement auquel il se soustrait, ce que lui reprochent ses détracteurs), ce qui n'a rien à voir.


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