Important et singulier
film de Chantal Akerman qui, inspirée par le cinéma d’avant-garde américain, filme
ce que le cinéma, d’ordinaire, ne filme pas : la répétition des gestes
quotidiens les plus triviaux, montrés comme autant de rituels domestiques
répétitifs et aliénants, dont rien ne sort d’autre que la vie minimale qui
continue. Elle montre le quotidien un peu comme l’instinct animal, qui est
souvent décrit comme une suite d’actions rituelles qui s’enchainent
imperturbablement.
Et, en fin de
film, la jouissance vient rompre la roue écrasante de l’habitude : sortie
de son ornière aliénante, Jeanne Dielman dysfonctionne, brise ce qui a brisé la
répétition sans fin des mêmes gestes. Cette fin évoque La Promenade de Maupassant (le meurtre remplaçant ici le suicide).
Bien sûr Akerman
propose un style on ne peut plus rébarbatif, non seulement en s’attachant à ces
sempiternels gestes domestiques, mais aussi en prenant plusieurs parties pris
stylistiques : il y a du Ozu, évidemment, dans le style d’Akerman, qui ne
bouge jamais sa caméra, reste fixée imperturbablement, captant les gestes, tout
aussi imperturbable. Et tous ces moments, qu'il s'agisse de se coiffer ou d'éplucher des pommes de terre, sont filmés dans une durée de quasi temps réel, la
caméra immobile ne suspendant pas la narration mais l'arrêtant véritablement sur ces moments
inutiles. Inutiles de prime abord seulement, puisqu’en réalité c’est bien là
l’objet que scrute Akerman : elle filme la routine à la fois
dérisoire et happante, celle qui accapare toute la vie et n’accepte rien en dehors d’elle. Akerman propose un regard très moderne sur le quotidien de la femme au foyer,
exagéré, évidemment par le fait qu’elle se vende aux hommes, mais en le
montrant par le jeu d’ellipses (qui, pour le coup, tranchent avec la manière
d’enregistrer dans leur durée réelle les gestes quotidiens) et avec le même
détachement machinal et aliénant.
lundi 18 janvier 2021
Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (C. Akerman, 1975)
Le film, très
long et très lent, raconte peu et c’est sa forme même qui est partie prenante de ce qu’a à
dire la réalisatrice (c’est là une des forces du film). La présence étonnante
de Delphine Seyrig dans le rôle-titre est un autre parti-pris réussi : l’actrice
ne correspond pas du tout, bien au contraire, à l’image de la femme banale,
prise dans un quotidien quelconque. Mais ce décalage renforce le propos et l’élève
au rang d’une dénonciation efficace sans qu’il y ait besoin de mots pour le
dire.
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