Remarquable premier film de Florian Zeller, qui nous fait
voir le monde à travers le cerveau vieilli et toujours plus altéré d’Anthony
(magnifique Anthony Hopkins, qui oscille entre une sobriété désemparée et un
petit cabotinage). L’habileté du film, bien sûr, est de nous montrer le monde depuis
le point de vue du vieil homme et uniquement depuis ce point de vue. Bien
qu’annoncé d’emblée (avec la musique du générique qui est en fait celle
qu’écoute Anthony dans son fauteuil), le spectateur ne le perçoit pas tout
d’abord, puis, quand tout se mélange, il comprend : tout ce qui est simple
devient compliqué, la linéarité du temps lui échappe, les jours se passent et
tout se mélange ; les noms, les visages, les évènements, tout se perd et devient
trouble, pour Anthony comme pour le spectateur qui ne sait plus, bientôt, si Anne
est mariée ou non, si elle doit partir pour Paris ou non, si l’on est le matin
ou bien le soir.
Pour parler d’un vieil homme qui mélange tout, The Father nous entraîne donc dans une
narration qui mélange tout elle aussi et où le spectateur, à l’instar d’Anthony,
ne sait à quoi se raccrocher : cette correspondance entre le fond et la
forme est une des grandes clés de voûte du cinéma, puisque, comme le disait si
bien André Bazin, « la technique et le
style ne sont pas seulement une façon de mettre le récit en scène, ils mettent
en cause la nature même du récit ». L’on est particulièrement touché,
alors, quand le fond et la forme se rejoignent. Ce que n’a pas su faire faire
Phillips dans son Joker (pour prendre
un exemple récent qui appelait à une forme exaltée), Zeller le fait
parfaitement. Sans doute est-ce là la meilleure façon pour le cinéma de montrer
la détresse et la déchéance d’un vieil homme.
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