lundi 30 décembre 2024

La Jeunesse de la bête (Yajū no seishun de S. Suzuki, 1963)

 



Seijun Suzuki montre toute sa vista formelle dans ce film de yakuzas : ce n’est pas tant l’histoire qui surprend (le scénario suit le schéma très classique d’un flic qui s’infiltre au milieu de bandes rivales pour découvrir qui a tué son ami) que la mise en scène : il n’est pas un plan qui soit conventionnel, pas une image qui ne tranche pas l’audace du cadrage, par le jeu sur les sons, sur les couleurs, sur la profondeur de champ, sur le rythme. Suzuki, expérimentateur virtuose, accumule les effets et son film a une flamboyance visuelle rare.
Mais, on le sait, la Nikkatsu qui l’employait ne goutait guère ces originalités et aspirait surtout à le voir réaliser des séries B facile à commercialiser et il sera bien mal à l’aise dans les contraintes imposées par le studio. Il ira pourtant encore plus loin dans cette stylisation baroque (Le Vagabond de Tokyo) et dans ses recherches plastiques (La Marque du tueur) mais on reste déjà sidéré et happé par l’audace visuelle de cette Jeunesse de la bête.



vendredi 27 décembre 2024

La Mort en direct (B. Tavernier, 1980)

 



Etonnant film de science-fiction de Bertrand Tavernier, très minimaliste et tout en implicite. On retrouve là la signature de Jacques Tourneur auquel le film est dédié.
Le film vaut alors pour la relation étrange – à la fois douce et morbide – entre Roddy et Katherine (Harvey Keitel et Romy Schneider).
La Mort en direct annonce bien entendu tout le cynisme intéressé de la télévision, avide de sensationnalisme. Et, plus précisément, on retrouve le thème central de Network (avec l’annonce d’un suicide en direct qui dope l’audimat). Mais Tavernier choisit un traitement très intimiste du sujet, qu’il oppose au sensationnalisme sans foi ni loi des patrons de la chaîne, mais qui lui permet de jouer sur le flou entre la sphère publique et privée, flou qui s’étendra toujours davantage dans les décennies qui suivront.



samedi 21 décembre 2024

Les Salauds dorment en paix (Warui yatsu hodo yoku nemuru de A. Kurosawa, 1960)

 



Grand film d’Akira Kurosawa où sa perfection formelle explose à chaque plan et où sa maîtrise dramatique construit un film puissant.
Si le thème est assez classique (une dénonciation de la corruption par un personnage infiltré qui veut se venger), les jeux de lumière, les fulgurances de montage, les cadrages, les décors (de la froideur des murs des bureaux aux gravats de l’usine bombardée), la profondeur de champ (lorsque Nishi s’immisce, au fond du plan, entre les conservations entre Iwabuchi et Moriyama), tout est construit pour amener la situation jusqu’à son climax et pour emporter le spectateur dans les méandres vengeurs de Nishi. On retrouvera la même perfection formelle dans Entre le ciel et l’enfer.
Et Kurosawa, très intelligemment, sait montrer combien la corruption est puissante et épouse les particularités de la vie japonaise, avec sa culture du silence, les suicides provoqués, les hommes de main qui font les sales besognes et les coups de téléphone sobres et décisifs, qui montrent combien celui que l’on croyait tout en haut est en fait lui-même aux ordres de quelque politique qui reste hors d’atteinte.
On remarquera, dans le rôle central de Nishi, Toshiro Mifune, si souvent expressif et puissant, qui est ici d’une sobriété remarquable.



mercredi 18 décembre 2024

Le Monocle rit jaune (G. Lautner, 1964)

 



Cette suite du Monocle noir n’est guère enthousiasmante. Certes le film est une comédie d’espionnage volontiers loufoque, mais tout cela est assez pataud et a très mal vieilli.
C’est bien dommage la distribution était intéressante avec Marcel Dalio et Robert Dalban qui entourent Paul Meurisse. Hélas ce dernier, comme à son habitude, s’il est parfait dans des rôles dramatiques, cabotine toujours désagréablement dès qu’il s’agit de changer de registre. Ici il est pénible et le film pâtit de sa composition médiocre.



lundi 16 décembre 2024

Un bourgeois tout petit petit (Un borghese piccolo piccolo de M. Monicelli, 1977)





Etonnant film qui, démarrant comme une comédie, change brusquement de ton et devient tout à coup un vrai drame, féroce et jusqu’au-boutiste. La légèreté de la première partie renvoie aux comédies italiennes avec ce père qui fait ce qu’il peut pour favoriser son fils et lui permettre de réussir ses examens. Mais, tout à coup, dans un véritable coup de théâtre, le fils est tué et l'histoire change du tout au tout. Le film se tourne en effet vers le thème surprenant de l’autodéfense (en toute fin de film on n’est plus très loin de Un justicier dans la ville) et si l’on comprend ce que veut dire Monicelli (la rupture de ton marque la rupture du personnage lui-même, qui est brisé par la mort de son fils), le film perd un peu son fil et la radicalité du propos jure sans doute trop par rapport au ton du début, avec les séquences amusantes où Vivaldi fait son possible pour coopter son fils.
Et l’on a rarement vu Alberto Sordi dans un rôle aussi cruel et inattendu (après une première partie qu’il domine comme à son habitude par son aisance dans le registre comico-tragique).



samedi 14 décembre 2024

Deux hommes dans la ville (J. Giovanni, 1973)

 



Le film vaut surtout pour le face à face Delon/Gabin mais, au-delà du plaisir de voir les deux acteurs, Deux hommes dans la ville n’est guère prenant. On sent très vite le propos, avec ce méchant devenu bon et qui dérive à nouveau, sous le harcèlement d’un méchant flic (joué par un terrible Michel Bouquet). Certes on sait le parallèle que met José Giovanni avec son histoire personnelle (Giovanni est un malfrat condamné, avant une reconversion et une rédemption dans l’écriture et la réalisation), mais l’ensemble, aujourd’hui, a vieilli. Les tirades de Gabin en éducateur sont convenues et Delon fait le boulot.
On s’amuse de croiser Gérard Depardieu, encore inconnu, qui donne une rapide réplique à Delon. C’est là un des seuls films où ils se croisent (et, le temps de cette courte séquence, les voilà qui se toisent).


jeudi 12 décembre 2024

Furiosa : Une saga Mad Max (Furiosa: A Mad Max Saga de G. Miller, 2024)

 



George Miller connaît son affaire : avec ce nouvel opus (en forme de préquelle), il a le très bon goût de reprendre l’ingrédient essentiel du succès récent de son Mad Max : Fury Road : aller à l’essentiel, croire dans le monde qu’il anime et ne jamais tergiverser.
Au milieu du désert, il positionne – comme dans un jeu de plateau – quelques places fortes (The Citadel, The Bullet Farm et Gastown), il les relie par des routes lisses et droites et il lance des hordes de guerriers sur ces routes, allant d’un siège à l’autre, d’une attaque à une autre, tantôt fonçant plein gaz sur le bitume, tantôt en coupant à travers les dunes.
Et le film, l’air de rien et sous ses dehors tonitruants – et c’est là ce qui fait sa réussite – s’éloigne du tout venant des blockbusters : Miller ne suit pas les recettes faciles des studios. Il ne fait pas de racolage ou de mièvreries, il n’y a pas de pauses, pas d’intimité (il pourrait y avoir une histoire d’amour entre Furiosa et Jack, mais Miller ne le leur laisse que quelques regards), aucun humour (il ne s'agit pas, ici, de glisser quelques bonnes répliques) et, surtout, dans sa manière de faire, Miller reste imperturbable : pas de ralentis dans l’action (ceux qui étirent sans cesse les scènes dans les indigestes recettes hollywoodiennes), pas de musique qui vient inutilement surligner les moments de bravoure. Il n’y a que le puissant riff qui appuie le rythme infernal du film.
Le film, alors, est une déferlante. Dans un visuel époustouflant, comme une immense course-poursuite qui n’en finit pas, Furiosa déverse son action, son style steampunk empli d’inventivité et sa féodalité barbare post-apocalyptique.
Grimés de mille manières, les acteurs épousent parfaitement le monde démentiel qu’ils habitent et Chris Hemsworth – dont le personnage de Dementus renvoie directement au seigneur Humungus de Mad Max 2 – est méconnaissable.

 


lundi 9 décembre 2024

Mort d'un pourri (G. Lautner, 1977)

 



Efficace film de Georges Lautner même si le ressort est assez classique (des hommes puissants sont prêts à tout pour retrouver des dossiers compromettants qui ont été volés). L’histoire énergique est parfois assez rocambolesque (l’attentat avec les routiers) et le twist final assez peu crédible.
Mais même si la réalisation est classique, elle a un charme très typé années 70, notamment avec une belle distribution, qui, il faut bien dire, rend le film très plaisant : aux cotés de Delon on trouve rien moins que Maurice Ronet, Michel Aumont, Stéphane Audran, Jean Bouize, Mireille Darc, Ornella Muti ou encore Klaus Kinski.

 

samedi 7 décembre 2024

Ça commence aujourd’hui (B. Tavernier, 1999)

 



Belle réussite que ce film de Bertrand Tavernier qui scrute l’école un peu comme il avait scruté la police dans L. 627. Ça commence aujourd’hui se veut une chronique quotidienne des dessous d’une école, en suivant pas à pas, sans jamais s’en écarter, les journées emplies d’abnégation et de coups durs de son directeur Daniel Lefebvre.
Philippe Torreton impose son rythme et son énergie, reprenant l’élan qu’il avait dans Capitaine Conan et qu’il met ici au service du dévouement sans faille de son personnage.
Le film est une vraie réussite : il montre les personnages avec des incertitudes, des ratés, et Daniel se plante parfois (il culpabilise du suicide qu’il n’a pas vu venir), il en fait trop souvent, il fait ce qu’il peut en somme. Le propos est pertinent mais tracé, peut-être, à trop gros traits. C’est que le film en rajoute sur la misère dure qui frappe et les coups portés (on a un peu l’impression d’un catalogue de catastrophes – entre l’école vandalisée et la famille qui se suicide – qui, toutes, mises bout à bout, font un peu beaucoup pour une année scolaire). Mais, cinématographiquement, Tavernier sent parfaitement le rythme et délivre un film marquant sur le quotidien d’une école.

 


mercredi 4 décembre 2024

Hier, aujourd'hui et demain (Ieri, oggi, domani de V. De Sica, 1963)





Comédie en trois sketchs qui mettent à chaque fois en scène Sophia Loren et Marcello Mastroianni. Le premier sketch montre nettement l’inspiration néoréaliste qui fut à l’origine des comédies italiennes. Il est sans doute le plus réussi des trois même si l’on est bien loin de la légèreté et de la facilité des grandes réussites du genre. Ici la répétition devient pesante, même si l’argument du sketch (tiré d’une histoire vraie !) est très bien vu. Les deux autres sketchs, plus facilement corrosifs, glissent du côté des bourgeois. Et si la scène où Sophia Loren fait un strip-tease (interrompu) devant un Marcello en transe est célèbre, le sketch lui-même n’est pas très enthousiasmant.


lundi 2 décembre 2024

Le Dernier duel (The Last Duel de R. Scott, 2021)





Ridley Scott propose ici un film intéressant et assez réussi, qui emmène son idée au bout, en faisant planer longtemps une incertitude sur les faits qu’il raconte. Le réalisateur nous ayant habitué, ces derniers temps, à des films tellement décevants et laborieux, on en est presque surpris.
Le Moyen-Âge est filmé avec des tons très sombres qui rejoignent l’imaginaire commun d’une période correspondant à des temps obscurs, ce que vient contredire l’image (fascinante), vue plusieurs fois en arrière-plan, de Notre-Dame en train d’être construite.
Le film est construit selon le procédé développé dans le Rashōmon de Kurosawa, où la même séquence est racontée successivement par différents personnages, avec ce que cela suppose de variations et de contradictions (1). Ici on a bien du mal à extirper le vrai du faux et – c’est bien là le but – à savoir qui dit la vérité dans cette affaire. Et, dans cette histoire de viol et de trahison, de façon assez curieuse – mais c’est là une curiosité qui est une qualité –, aucun des deux personnages du duel à venir n’apparaît sympathique. Ni Jean de Carrouges (Matt Damon), lourd et rustaud, ni Jacques le Gris (Adam Driver), hypocrite intrigant. Ce choix du réalisateur freine beaucoup l’identification du spectateur à l’un des deux, même si l’on prend, très progressivement, fait et cause pour l’intègre Carrouges, largement floué et moqué. Et c'est cette manière de faire qui permet d’emmener assez loin l’incertitude du dernier duel du titre.
Mais, dans la dernière séquence où le duel proprement dit est enfin mené, on regrette – sans être surpris : on connaît Ridley Scott – qu’il soit l’occasion de tous les passages obligés fatigants des réalisations modernes, à coups de travellings, de ralentis fatigants et de musique pompeuse. L’affrontement s’étire inutilement. La sécheresse d’un combat ferait tant de bien. Nous parlions de Kurosawa : il est bien dommage que la leçon du duel final de Sanjuro soit aujourd’hui complètement oubliée.



________________________________

(1) : On notera que ce procédé, s’il est célèbre depuis Kurosawa, est moins efficace que le jeu de champ-contre-champ, tel qu’il apparaît dans Mademoiselle par exemple, où la deuxième partie du film n’est pas l’interprétation d’un même épisode mais son complément. Elle est ce qui manque à la première, comme deux pièces de puzzle qui s’emboîtent.