Dans Lumière ! L’aventure continue, Thierry Frémaux, commentant une série de films
des frères Lumière, reprend la même formule que le premier opus. Et, à nouveau,
ces merveilleux films éclatent à l’écran. Et, à nouveau le commentaire juste,
pédagogique et sensible de Frémaux les accompagne.
Et l’on comprend alors, au fur et à
mesure des films qui se succèdent, combien le cinéma est une autre manière de
représenter la vie, combien il est une autre manière de dire ce qu’est la vie
sur terre et combien les frères Lumière ont su inventer un regard.
Frémaux le dit bien : il y a chez
les frères Lumière la patience du plan. Il y a le peuple, la rue, la vie telle
qu’elle se déroule. Ensuite leur génie fut de poser leur caméra là où le monde
peut être saisi en cinquante secondes, pour raconter une histoire, fixer une situation,
un évènement ou un instant. Comme cette démonstration de voltige à
cheval sur fond de château de Prague, d’une beauté folle. Ou ce trottoir
roulant qui avance et emporte les piétons. Ou ce paysan d’Asie qui actionne une
roue à aube. Ou encore ce film où l’on voit des soldats à l’entraînement en
montagne qui avancent sur un chemin en zigzag, traversent un petit pont, s’allongent au
premier plan et tirent. Plan extraordinaire, fluide, tout en profondeur de champ
et dont le cadre est envahi peu à peu, avec évidence et pureté. Un plan
séquence à regarder en boucle nous dit avec justesse Frémaux.
Incroyablement, beaucoup de ces films sont saisissants de modernité (on parle ici de modernité dans le sens cinématographique). On
pense à l’un des films qui montre, pendant toute sa durée, des vagues qui vont
et viennent sur les rochers d’une côte sauvage. On se croirait dans Aguirre avec les Espagnols qui contemplent
longuement les remous du fleuve en furie.
Mais cette modernité s’explique. C’est qu’il
n’y eut plus, après les frères Lumière, pendant longtemps, d’autres frères
Lumière. C’est le cinéma de Méliès qui a tout envahi : un cinéma spectaculaire,
à coup de studios, d’histoires extraordinaires, de trucages, de féerie, de
comédiens. Cette autre manière de faire du cinéma, inventée par Méliès, a
conquis le public. Puis après qu’il a été adoubé comme art et non plus considéré
uniquement comme un simple divertissement de foire (à partir de L’Assassinat du Duc de Guise notamment), ce cinéma a enfanté les grands studios hollywoodiens qui sont se mis à fabriquer du
rêve. Thierry Frémaux nous explique très justement que Méliès enfantera
Fellini. Certes, mais avant, et plus largement, c’est l’industrie des grands
studios qui prendra la suite.
Et les frères Lumière, qui ont formé des
opérateurs et les ont envoyés partout dans le monde, n’ont pas de suiveurs
immédiats chronologiques. Il a fallu attendre cinquante ans pour que le cinéma
retrouve ce regard des frères Lumière, c’est-à-dire qu’il en revienne à leurs fondamentaux :
prendre une caméra et filmer la rue, sans acteurs professionnels, sans studios,
sans histoires autres que celles du quotidien. C’est le cinéma italien de
Rosselini, De Sica ou des premiers Visconti. C’est ce gap de cinquante ans qui
explique l’incroyable modernité des frères Lumière.
Bien entendu des réalisateurs ont su, avant
le néoréalisme, ponctuellement, retrouver cette âme première du cinéma (on
pense à Ozu par exemple), mais il a fallu attendre le cinéma moderne issu du
néoréalisme puis ses descendants pour
retrouver cette manière de faire. Le cinéma moderne, en fait, c’est celui des
frères Lumière, qui est la première façon qu’a eu le cinéma de saisir le monde.
samedi 22 mars 2025
Lumière ! L'aventure continue (T. Frémaux, 2024)
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