Film choc, Freaks est, aujourd’hui encore – et c'est tout à fait exceptionnel
pour un film de 1932 –, difficile à regarder (même pour des adolescents, par
exemple, rompus aux images abominables et malsaines des films les plus gores et
les plus outranciers).
T. Browning, après le grand succès de son Dracula, se voit demander par la MGM (qui veut renchérir pour concurrencer le très bon Frankenstein de J. Whale qui connaît lui aussi un grand succès) la réalisation d'un film encore plus monstrueux. Les majors hollywoodiennes ont l’habitude de ce
fonctionnement : quand un filon fonctionne il est exploité jusqu’au bout. Ici
la mode est aux films de monstres. Browning accepte et prend les producteurs
au mot : il va faire le film de monstres ultime. Il cherche alors dans
différentes troupes de cirque des Etats-Unis des « monstres de
foire » et les regroupe pour son film.
Le film est du coup très dur à voir pour la
simple raison qu'il n'y a aucun trucage : les acteurs ont réellement une
apparence monstrueuse. Si voir Gollum, sinistre créature du Seigneur des anneaux n’émeut pas
particulièrement, c’est bien parce qu’on sait que ce personnage est une habile création numérique. En revanche, de l'homme-tronc aux femmes à tête
d'épingles, la foire aux monstres de Freaks
est presque insoutenable.
Gollum dans Le Seigneur des anneaux |
Un des "monstres" de Freaks |
Browning, conscient de ce qu'il montre, pousse son idée jusqu'au bout et présente
les acteurs dans leur propre rôle : il montre la vie de tous les jours
d’une troupe de cirque. Et, alors que, scénaristiquement, ils ne font rien que
de très banal, c'est là, précisément, qu'ils apparaissent monstrueux : dans
la simple et banale vie de tous les jours.
Les ennuis commencent pour le spectateur – si
l’on peut dire – précisément parce que les acteurs jouent leurs propres rôles.
Dès lors en quoi sont-ils monstrueux ? Ils le sont uniquement parce que les spectateurs –
qui ont parfois bien du mal à ne pas détourner les yeux – les désignent comme
tels.
Et cette mise en abyme va très loin : lors
du tournage il fallut séparer les acteurs – c'est-à-dire toutes ces personnes venues de différentes
troupes de cirque et que Browning a rassemblées – et les techniciens : ils ne
voulaient plus manger aux côté des acteurs, trop monstrueux et insupportables à
côtoyer. Mais qui prétend pouvoir manger tranquillement, à la cantine et l'air
de rien, face à un homme-tronc, face à des siamois, face à un homme-squelette ?
De façon terrible, la belle Cléopâtre qui se
moque, insulte et rejette les monstres est un miroir (à peine) grossissant de
ce que les acteurs ont subi lors du tournage (même s’il faut relativiser : il y
a eu aussi, sur le tournage, des querelles d'ego ; plusieurs de ces « monstres »
étaient des stars dans leur cirque et voulaient tirer la couverture à eux !).
Pourtant, en fin de film, dans des séquences éblouissantes
et inoubliables, Browning sauve le spectateur : les monstres agissent,
finalement, comme des monstres. Tout retombe bien en ordre : les monstres sont
bien monstrueux, le spectateur est rassuré, il a eu raison de les identifier
comme monstres.
Mais il est bien évident que ce film,
aujourd'hui encore trop direct dans son jeu de miroir réalité/fiction, était irregardable
en 1932. Qu'il ait précipité la carrière de Browning ne peut guère surprendre.
L’influence de Freaks est très importante, beaucoup de réalisateurs y font référence, depuis Lynch, évidemment, dans son Elephant man, jusqu'à Toy Story de J. Lasseter où le cowboy Woody se retrouve coincé dans une chambre emplie de jouets monstrueux. La mise en scène de cette séquence reprend la tension de l'attaque des monstres à la fin de Freaks.
L’influence de Freaks est très importante, beaucoup de réalisateurs y font référence, depuis Lynch, évidemment, dans son Elephant man, jusqu'à Toy Story de J. Lasseter où le cowboy Woody se retrouve coincé dans une chambre emplie de jouets monstrueux. La mise en scène de cette séquence reprend la tension de l'attaque des monstres à la fin de Freaks.
Un des jouets monstrueux de Toy Story |
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