Film fascinant
d’Alfred Hitchcock, qui construit un récit à la fois solide et tortueux, où son
inventivité et son génie manipulatoire font merveille.
D’emblée la
rencontre entre Guy et Bruno crée le malaise : en laissant entrer le Mal
dans sa vie, Guy est aussitôt contaminé. L’échange de meurtres que lui propose
Bruno est un insidieux poison : on retrouve, dès que l’ignoble arrangement
est proposé, le thème cher à Hitchcock de l’innocent acculé (Guy, en perdant
son briquet que récupère Bruno, perd alors son innocence : le voilà, quoi
qu’il en pense, relié à Bruno). Guy,
alors, n’aura de cesse de se dépêtrer de cette situation dont le rythme va
s’accélérant progressivement, jusqu’à un climax célèbre.
Tout le film est
construit sur cette idée du double (et même du double maléfique) avec ce
contraste entre Guy et Bruno : de nombreuses séquences se répondent, ou
sont montées en parallèle, ou mettent en évidence un contraste violent entre
les deux protagonistes, que tout oppose mais qui sont reliés l’un à l’autre. C.
Chabrol et E. Rohmer ont très bien analysé les deux figures symboliques – la
droite et le cercle – autour desquelles le film se construit. Commencé dans une
gare avec le croisement rigoureux de rails, le film montre plusieurs mouvements
nets en ligne droite (les échanges lors du match de tennis) auxquels s’oppose
la figure circulaire (depuis les disques vendus par la femme de Guy jusqu’aux
fameuses lunettes) portée à son paroxysme avec le tourbillon circulaire final.
Bruno est une
figure diabolique particulièrement réussie : non seulement il prend les
devants en assassinant Myriam, la femme de Guy, alors que celui-ci avait refusé
l’échange de meurtres, on comprend ensuite que, bien au-delà d’un simple
calcul, ce meurtre est l’assouvissement d’un plaisir sadique. Il manque
d’ailleurs d’étrangler la vieille dame lors de la soirée. Bruno est alors peint
avec une universalité dérangeante, comme si chacun des spectateurs avait en son
for intérieur de semblables pulsions qui seraient simplement portées plus loin
chez Bruno (comme s’il n’y avait, entre le spectateur et
Bruno, qu’une différence de degré et non de nature). On notera alors la complexité
sadique du récit : quand Bruno tue Myriam, Guy, d’une certaine façon est
impliqué parce que Bruno vient de commettre « son » meurtre,
c’est-à-dire celui qui l’arrange. Guy, sans être coupable, n’en est pas pour
autant innocent. On peut alors voir en Bruno l’expression de tout ce qui est
refoulé chez Guy : il est bien le double, extraverti et accablant des
pulsions de Guy.
La maîtrise du
réalisateur est totale. Il s’agit non pas seulement d’une maîtrise technique ou
d’une maîtrise du rythme ou de l’équilibre du récit, il s’agit de la maîtrise
totale du spectateur : Hitchcock sait parfaitement ce que ressent, à tel
ou tel moment précis, le spectateur et il joue avec lui. Il sait, par exemple,
la tension ressentie par le spectateur lorsque Guy joue au tennis et qu’il doit
gagner rapidement parce que, dans le même temps, Bruno veut laisser un indice
qui le compromet. Le montage parallèle nous fait suivre alternativement les
deux séquences et le spectateur est à la fois anxieux pour Guy qui doit se dépêcher
mais aussi pour Bruno lorsqu’il est retardé (quand le fameux briquet lui
échappe et qu’il tente de le rattraper dans une bouche d’égout). Ce paradoxe
(comment s’en faire pour les deux personnages qui s’opposent ?) est basé sur la parfaite connaissance, par Hitchcock, des mécanismes d’empathie, dont il joue savamment.
La virtuosité de Hitchcock frappe aussi par ses jeux de caméra : ici il montre la déambulation des pieds, dans la salle des pas perdus, qui aboutissent à la rencontre des deux protagonistes ; là il montre le meurtre de la femme de Guy au travers de la paire de lunettes tombée et qui reflète la scène ; ici encore il fait un gros plan sur le briquet dans l’herbe, etc.
La virtuosité de Hitchcock frappe aussi par ses jeux de caméra : ici il montre la déambulation des pieds, dans la salle des pas perdus, qui aboutissent à la rencontre des deux protagonistes ; là il montre le meurtre de la femme de Guy au travers de la paire de lunettes tombée et qui reflète la scène ; ici encore il fait un gros plan sur le briquet dans l’herbe, etc.
On regrette
peut-être que Guy soit interprété par Farley Granger qui n’est pas au niveau
des acteurs habituels de Hitchcock (les Cary Grant et autres James Stewart) et
dont le manque de charisme a bien du mal à contrebalancer l’excellent Robert
Walker.
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