Incroyable film
sur le rêve fou d’un homme, et dont la genèse et le tournage sont des paris
aussi fous que celui du héros. Il est difficile, devant Fitzcarraldo de faire abstraction du rêve de Werner Harzog et de la
réalité ce que fut le tournage.
Fitzcarraldo est
un rêveur passionné : il décide, contre tout bon sens, de construire un
opéra au milieu de la forêt péruvienne. Pour trouver de l’argent il veut
renflouer une concession de caoutchouc. Pour cela il doit la rendre accessible.
Son idée est de faire passer un bateau à travers la montagne pour rejoindre un
autre bras de rivière ce qui pourrait relancer l’exploitation.
Herzog épouse le
rêve de Fitzcarraldo : il est à peu près aussi fou de vouloir faire un
opéra en pleine forêt que de financer, organiser et tourner un tel film. C’est
que, pour Herzog, le film ne pourra exister que si ce qu’il raconte – en
particulier la traversée de la montagne par le bateau – a réellement lieu.
Cette volonté d’affronter ce qu’affronte Fitzcarraldo correspond à une
conception du cinéma de la part de Herzog : le réel et la fiction se
rejoignent. De sorte que, pour Herzog, si la traversée de la montagne n’a pas
lieu, le film n’a pas lieu d’être.
Le film acquiert
alors une véritable dimension autobiographique et documentaire : les
aventures de Fitzcarraldo sont celles de Herzog et bien des images du film de
joie ou de détresse sont des moments captés par Herzog sur le tournage et
conservés tels quels, mêlant ainsi étroitement réalité et fiction.
Herzog avait
déjà procédé ainsi pour le tournage difficile d’Aguirre mais ici les difficultés atteignent des sommets et la
réalisation du film n’est qu'une suite à peu près ininterrompue des catastrophes
en tous genres, avec un lieu de tournage inaccessible, des frais de production
impossible à contenir, des guerres entre tribus, une saison sèche qui rend les
bras de rivière impraticables aux bateaux, puis des pluies torrentielles qui
dévastent le campement, des producteurs qui se retirent un à un, un acteur
principal malade (Jason Robards) qui doit renoncer et, pour le remplacer, un
Klaus Kinski ingérable. Par-dessus tous ces problèmes, il restait le défi
immense de faire réellement traverser un bateau de 300 tonnes à travers une
montagne, d’un bras de rivière à l’autre, à l’aide de câbles et de poulies. Ce
défi qui est celui de Fitzcarraldo sera relevé, de même que les autres :
le rêve fou de Herzog aura permis de réaliser le film.
Apparaît alors
sous nos yeux un film qui parvient à la fois à montrer l’entreprise inouïe de
Fitzcarraldo, qu’il mène contre vents et marées (et qui est donc un témoignage,
à l’écran, de ce que fut le tournage), et le lyrisme fou de Herzog, qui, à côté
de ces aventures, capte la forêt, son immensité et sa plénitude, avec cette
lenteur folle et poétique. On retrouve ici le terreau d’Aguirre : l’incroyable puissance visuelle de Herzog. Sa caméra
capte des images, des sons, des moments, trouvant dans la difficulté l’âme de
son film.
Et la magie de
l’alchimie opère : le rêve de Fitzcarraldo lui a permis de dépasser le
cauchemar qu’il a pu engendrer, et, de ce cauchemar, Fitzcarraldo – qui a
échoué, mais qu’importe : son rêve est le sel de sa vie – offre au monde un
moment d’opéra, qui fait vibrer la jungle à l’unisson, et qui fait taire
jusqu’aux oiseaux.
On remarquera
que, en quelques années, d’autres films, ont connu ce moment herzogien du tournage
qui vire au cauchemar : on pense en particulier à Apocalypse Now ou à Sorcerer.
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