Ce dernier film
de Luis Buñuel est tout à fait dans la lignée de sa période française :
sous des dehors classique, il brille à la fois par son inventivité et par son
irrévérence permanente, ici en explorant les dessous on ne peut plus sadomasochistes
d’un couple.
Si le film commence
avec cette application typique et classique de Buñuel, très vite des éléments
incongrus apparaissent et commencent à faire dévier le récit. Ici l’explosion d’une
bombe par des terroristes (explosion accueillie avec une distance étrange,
comme si ce n’était qu’une contrariété, comme un embouteillage un peu
contraignant), là un nain qui prend place dans le wagon. Et c’est ainsi que Buñuel
lance le cœur de son sujet : le récit par Mathieu (Fernando Rey, fidèle du
réalisateur, comme toujours parfait) de sa relation troublée avec Conchita.
Et
comme ce couple est complexe, Buñuel a une idée de génie : à l’image ce
seront deux actrices qui vont interpréter le même personnage. L’une, Angela
Molina, sera la Conchita chaude, brûlante et sensuelle ; l’autre, Carole
Bouquet, sera la Conchita froide et calculatrice. Mathieu, alors, va raconter
par le menu sa soumission sans limite à Conchita, qui va l’humilier, le
frustrer, le rabaisser, esclave qu’il est de sa quête de jouissance, jouissance
qui lui est refusée.
Angela Molina est une Conchita sensuelle et brûlante |
Carole Bouquet est une Conchita froide et calculatrice |
Mais Buñuel
enrichit considérablement le propos de deux manières : d’une part les interlocuteurs
de Mathieu, dans son wagon, sont une mère de famille, un magistrat et un
psychologue. Et, tous approuvent (ou du moins ne désapprouvent pas ni ne
stigmatisent) la relation sadomasochiste. La société, représentée par les occupants
du wagon, semble alors accepter cette relation perverse.
Le second aspect
relie davantage encore la société entière à la relation sadique entre jouissance
et douleur : le film est émaillé d’actes terroristes (explosion,
fusillades, hommes armés, etc.) face auxquels la société semble bien apathique
et résignée, presque détachée. Si ces actes ont une résonance contemporaine en
évoquant les années de plomb, il est probable que, venant de Buñuel, il faille
y voir un peu plus que la simple évocation d’un contexte historique. En fait c’est
comme si le corps social ne luttait pas contre cette douleur subie et qu’elle en
prenait juste acte. C’est un peu comme si tout le monde, dans la société, avait
une part de sadomasochisme. Idée buñuelienne s’il en est…
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