Très grand film
qu’il faut voir aujourd’hui en le détachant de son histoire pour pouvoir
profiter de sa perfection, à la fois formelle et dans l’étonnante puissance
cinématographique qu’il dégage.
C’est que le
film, réalisé en 1943 par la Continental, qui était alors financée par les
Allemands, a réussi la sinistre gageure d’être rejeté à la fois par le régime
de Vichy et par la France de la Libération. De censure en censure, le film eut
son lot de malheurs, de même que le réalisateur et les comédiens qui durent
subir des accusations de collaborationnisme. Sinistre ironie pour ce film dénonçant
la délation.
Mais aujourd’hui
le film apparaît davantage pour ce qu’il est : une galerie de portraits au
vitriol de la société française. Clouzot insiste d’emblée : le village au
cœur du récit pourrait être n’importe lequel, ce n’est rien de moins que la
substance de la France dont il va être question. La délation, la rumeur,
la traîtrise, la lâcheté, voilà ce qui semble animer la France de 1943. Et il
n’est fait nulle référence à l’Occupation ou aux Allemands : ce sont les
Français seuls qui sont en cause. Le mal est en eux. Et il ne s’agit pas
seulement d’un coupable – un corbeau qui envoie lettres sur lettres pour
menacer, dénoncer ou faire courir de fausses rumeurs – c’est tout le village
qui sert de relais, d’amplificateur, de creuset au précipité chimique de la
délation.
Clouzot lance
son intrigue en jouant sur le symbole de l’hôpital qui, bien loin de guérir,
semble au contraire être à l’origine du mal : depuis les médecins jusqu’aux
infirmières, il n’est pas un personnage qui soit moral ou intègre.
A cette galerie
de portraits répond une brochette d’acteurs parfaits qui donnent une dimension
considérable à chaque personnage – et donc au film lui-même. Derrière les stars
Pierre Fresnay et Ginette Leclerc, on trouve des seconds couteaux aguerris et épatants
(Pierre Larquey, Noël Rocquevert, etc.).
La mise en scène
de Clouzot atteint une perfection rare : tout est précis, pensé, construit avec
intelligence, en sentant parfaitement comment balader le spectateur, de
suspect en suspect. On sent alors, confusément, combien, au fond, c’est tout le
village qui est coupable. Cette indistinction entre le Bien et le Mal participe
de la terrible noirceur pessimiste du film. La fameuse scène où l’ampoule se
balance violemment est ainsi un bel exemple de la dimension métaphorique du
film. Et si le Docteur Germain, devant qui oscille cette ampoule, semble
hésiter entre le Bien et le Mal, c’est lui, finalement, qui recouvrera son
intégrité et démasquera le coupable.
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