lundi 21 janvier 2013

Le Corbeau (H.- G. Clouzot, 1943)




Très grand film qu’il faut voir aujourd’hui en le détachant de son histoire pour pouvoir profiter de sa perfection, à la fois formelle et dans l’étonnante puissance cinématographique qu’il dégage.
C’est que le film, réalisé en 1943 par la Continental, qui était alors financée par les Allemands, a réussi la sinistre gageure d’être rejeté à la fois par le régime de Vichy et par la France de la Libération. De censure en censure, le film eut son lot de malheurs, de même que le réalisateur et les comédiens qui durent subir des accusations de collaborationnisme. Sinistre ironie pour ce film dénonçant la délation.

Mais aujourd’hui le film apparaît davantage pour ce qu’il est : une galerie de portraits au vitriol de la société française. Clouzot insiste d’emblée : le village au cœur du récit pourrait être n’importe lequel, ce n’est rien de moins que la substance de la France dont il va être question. La délation, la rumeur, la traîtrise, la lâcheté, voilà ce qui semble animer la France de 1943. Et il n’est fait nulle référence à l’Occupation ou aux Allemands : ce sont les Français seuls qui sont en cause. Le mal est en eux. Et il ne s’agit pas seulement d’un coupable – un corbeau qui envoie lettres sur lettres pour menacer, dénoncer ou faire courir de fausses rumeurs – c’est tout le village qui sert de relais, d’amplificateur, de creuset au précipité chimique de la délation.
Clouzot lance son intrigue en jouant sur le symbole de l’hôpital qui, bien loin de guérir, semble au contraire être à l’origine du mal : depuis les médecins jusqu’aux infirmières, il n’est pas un personnage qui soit moral ou intègre.



A cette galerie de portraits répond une brochette d’acteurs parfaits qui donnent une dimension considérable à chaque personnage – et donc au film lui-même. Derrière les stars Pierre Fresnay et Ginette Leclerc, on trouve des seconds couteaux aguerris et épatants (Pierre Larquey, Noël Rocquevert, etc.).

La mise en scène de Clouzot atteint une perfection rare : tout est précis, pensé, construit avec intelligence, en sentant parfaitement comment balader le spectateur, de suspect en suspect. On sent alors, confusément, combien, au fond, c’est tout le village qui est coupable. Cette indistinction entre le Bien et le Mal participe de la terrible noirceur pessimiste du film. La fameuse scène où l’ampoule se balance violemment est ainsi un bel exemple de la dimension métaphorique du film. Et si le Docteur Germain, devant qui oscille cette ampoule, semble hésiter entre le Bien et le Mal, c’est lui, finalement, qui recouvrera son intégrité et démasquera le coupable.



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