Avec Le Samouraï, Jean-Pierre Melville
atteint un point culminant de sa manière de filmer : il a créé son propre
univers, en associant des images issues du polar noir américain (le personnage
en imperméable, chapeau et gants, s'inspirant notamment de Tueur à gages de F. Tuttle) avec des images géométriques, vides, froides,
comme abstraites. C’est cette association, complètement anachronique (en 1967
personne ne se promène dans les rues de Paris affublé comme Delon), qui donne
au style Melville toute sa puissance. Emmenant au bout les principes qu’il
ébauche depuis Le Doulos, et en
élevant chacun des motifs qui le caractérisent au rang de totem, Melville
arrive à mélanger une approche réaliste (les lieux précis de Paris) avec une
géométrie radicale et quasi abstraite. Il semble bien que Melville ne pourra
pas pousser au-delà son système de représentation emmené ici jusqu’à l’épure
(il parviendra, non pas à aller plus loin encore dans la radicalité abstraite
de son système, mais à en offrir une variation sublime dans Le Cercle rouge).
Derrière le
style, le système de Melville est en place : il s’agit de professionnels
(tueurs ici, braqueurs ou flics ailleurs), d’amitié et de trahisons, mais aussi
de solitude, de vies creuses et déjà achevées.
Jef Costello, le
samouraï, campé par un Delon magnétique au jeu minimaliste, n’est plus qu’une
silhouette détachée du monde réel qui l’entoure et dont la substance disparaît
derrière les signes extérieurs de genre. Il est un avatar de ces films noirs
des années 40 ou 50, transformé par l’imaginaire de Melville et transposé dans
un univers qui n’est pas le sien.
L’impact de ce
film est immense aujourd’hui encore et participe à la légende de
Melville : de Tarantino (Reservoir
Dogs) à Mickael Mann (Heat, Collateral) en passant par Jarmusch (Ghost Dog) ou encore John Woo (The Killer) ou
Scorsese, on ne compte plus les réalisateurs qui revendiquent la filiation avec
le maître français.
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