mercredi 2 juillet 2014

Mulholland Drive (D. Lynch, 2001)




Chef-d’œuvre de David Lynch, Mulholland Drive est l’expression de la phénoménale puissance créatrice de son réalisateur et de sa capacité à provoquer une expérience sensitive : le mélange est continuel entre le rêve et la réalité, et les acquis du récit sont sans cesse remis en cause.
Au sortir de la première vision, on peut très bien en rester aux images et à l’ambiance délivrée par le film sans y avoir compris grand-chose et en rester là. Le film, déjà, est exceptionnel, tant l’image – expression ici utilisée comme un tout englobant la bande sonore, étrange et lourde – est puissante, happante et profonde.
Une seconde vision (et d’autres encore !) montrera combien ces images sont habitées par des significations, cachées, complexes, discutables, mais qui les enrichissent de façon fascinante. Aussi, le symbole de cette clef bleue qui parcourt le récit incite à se pencher un peu plus sur une signification, quand bien même Lynch ne délivre pas de clef de compréhension qui permette d’être certain d’avoir saisi le sens ultime et définitif.


On peut proposer une lecture de ce film (une parmi tant d’autres), mais qui, pour nous, parvienne à associer sensation et compréhension. Lynch situe son récit à Los Angeles, au cœur du rêve hollywoodien : le récit s’articule (ou semble s’articuler) autour de personnages qui font partie de la machine à rêves (actrices pleines d’espoirs, stars, réalisateurs, producteurs, etc.). Lynch joue ainsi avec le monde du cinéma – ce monde où le vrai et le faux s’entremêlent – et ponctue son film d’endormissements et de réveils.
Le film démarre au tiers du film : après un fondu au noir, on retrouve Diane en train de dormir, puis elle est réveillée parce qu’on frappe à sa porte (et juste après qu’un étrange cow-boy lui a dit qu’il était temps de se réveiller). Là commence l’entrée du film dans la réalité (réalité qui inclura quelques flash-backs, dont le meurtre commandité de Camilla). Tout ce qui précède n’est sans doute qu’un rêve, la séquence pré-générique montrant d’ailleurs l’endormissement, avec une caméra qui se promène sur un lit défait et qui zoome sur un oreiller rose, oreiller sur lequel Diane se réveille après presque deux heures de film.


A partir de ce moment, tous les personnages ou les situations de la première partie – le rêve – se retrouvent, mais assemblés différemment, tels les pièces d’un puzzle, sous un autre jour – la réalité de Diane –  et permettent une autre compréhension.
Diane (la Betty du rêve) qui ne se remet pas de la fin de son histoire avec Camilla (la Rita du rêve), Diane qui dépendait de Camilla pour avoir de petits rôles, qui n’accepte pas qu’elle se marie et dont elle commandite le meurtre ; meurtre qui a eu lieu, très certainement, comme l’indique la clef bleue sur sa table basse. Diane, ravagée de douleur et de chagrin, qui a une crise d’hallucination et qui se suicide.
A l’exception du suicide qui survient après son réveil, tous ces éléments qui hantent Diane sont à l’origine du rêve qu'elle vient de faire. Ils sont travaillés par son inconscient lorsqu’elle rêve, et sortis de leur contexte, mélangés, comme un rêve assemble des personnages, des situations, des événements et réorganise le tout, de façon étrange et insolite. Tel personnage change de statut, tel autre, aimé, devient haï, tel fantasme prend corps (la transformation de Rita en Betty, avec une perruque blonde, qui renvoie à Vertigo, à la fois à l’image et dans la signification), etc.


Lynch s’appuie sur un très bon duo d’actrices, le visage de Laura Harring étant d’ailleurs exceptionnel en ce qu’il évoque maintes beautés d’Hollywood, de Rita Hayworth (avec Gilda qui est cité) à Ava Gardner. Lynch joue avec sa caméra, anticipant les mouvements des personnages, déstabilisant son image, proposant des gros plans extravagants, des tensions soudaines et puissantes, des personnages insolites qui font irruption, des ré-associations qui perturbent ; il joue sans cesse avec le vrai et le faux, depuis les séquences de répétitions de Betty jusqu’au théâtre Silencio où rien, finalement, n’est joué en direct.


Comme d’autres films dont les images imprègnent avant qu’on puisse en saisir le sens (de 2001 à Black Coal), il faut voir, revoir (et revoir encore !) le film.
Mais il ne s’agit pas d’une vision rendue indispensable pour bien comprendre un scénario bien ficelé, il s’agit d’associer les émotions nées des images avec le sens qu’elles peuvent contenir.
Cette association d’images puissantes avec un récit indéterminé, sans cesse en décalage et en remise en cause permanente, fait de Mulholland Drive un film inépuisable.



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