Excellent film de Comencini qui prend un plaisir évident à faire feu de tout bois. Il articule sa narration autour d'un jeu de cartes : les séquences où la caméra déambule entre les joueurs, révélant leurs hésitations, leurs déceptions, leurs colères, leurs joies contenues, le tout au rythme enlevé d'un tango, sont délicieuses.
Le film propose une opposition entre deux mondes :
celui de la vieille, monde d'argent et de luxe ; et celui de Peppino le
chiffonnier, qui vit dans un pauvre bidonville. La vieille représente le
pouvoir et l'argent : c’est le fantasme d'une Amérique immensément riche
et inatteignable. Peppino représente les aspirations modestes du peuple :
il veut gagner un peu plus d'argent, de quoi reprendre le commerce du Marocain
par exemple, ou opérer sa fille. Antonia, elle, est davantage ambitieuse, elle
est fascinée par la vieille et ce qu'elle représente : la considération, le
luxe, l’apparence. Elle est fière (à l'inverse de Peppino) et prête à tout pour
gagner (y compris tricher, y compris mettre son couple en danger). Leur fille
Cleopatra se rapproche de la vieille par son infirmité et partage avec elle un
regard commun, impitoyablement lucide, sur le monde.
Les règles du jeu de cartes semblent
en apparence les mêmes pour tous mais la vieille impose un quitte ou double
intenable : comme elle peut doubler les mises à l'infini, elle est sûre de
gagner. Dès lors le jeu ne peut se terminer que tragiquement pour Peppino et
Antonia : ils ne peuvent que perdre.
Prête à tout - mais inconsciente de
la défaite inéluctable - Antonia va jusqu'à tricher pour gagner malgré tout,
mais c'est peine perdue : elle ne perd que davantage encore. En effet,
venant se rajouter à la question de la victoire ou de la défaite aux cartes, la
question du couple fait irruption dans le jeu. À la question « Peppino et
Antonia gagneront-ils ? », se superpose une seconde question :
« leur couple résistera-t-il ? ». D'ailleurs la dernière partie
(celle où le tricheur entre en jeu) n'est pas montrée : le jeu de cartes,
à ce moment, n'est plus essentiel. Le seul enjeu est alors de savoir l'ampleur
de la défaite.
La fable de Comencini prend toute
son épaisseur sociale quand elle aborde les différents aspects sociaux de la
vie des pauvres : les personnages du curé ou du professeur permettent
d’élargir la métaphore du jeu de cartes à une lutte des riches contre les
pauvres. Mais le regard de Comencini est très dur : le professeur est
montré comme un donneur de leçon bien peu solidaire. De sorte que si Comencini
est féroce avec les riches (qui imposent une règle du jeu faussement équitable
et qu’il montre cyniques et sans pitié), il l'est aussi avec les pauvres, qu'il
montre fascinés par le pouvoir de l'argent, et prêts à tout - au détriment même
de leur famille - pour gagner. En effet Antonia risque son couple pour gagner,
encouragée en cela par les voisins du bidonville
(« Dépouille-là ! », « Lui laisse rien ! »).
Et
dans ce jeu entre le pouvoir de l'argent et l'appétit de ceux qui n'ont rien,
il semble bien que la seule possibilité qu’ont Peppino et Antonia de gagner
soit que la vieille renonce au jeu, qu'elle meurt, au moins symboliquement.
Mais rien n'y fait, elle revient sans cesse et gagne toujours.
Il
n'y a que Cleopatra qui, lucide, comprend qu'il ne faut pas chercher à gagner
l'argent de la milliardaire, mais qu'il faut se débarrasser d'elle. Pour sauver ce
qui peut l'être, elle prépare un gâteau empoisonné. Et la question reste ouverte
en fin de film : la vieille le mangera-t-elle ?
Très bel
exemple de comédie italienne, L'argent de la vieille est servi par des acteurs parfaits, en particulier A. Sordi, toujours extraordinaire, dont le jeu oscille entre la faiblesse incapable et la fausse fierté ; et B. Davis qui n'hésite pas à s'enlaidir épouvantablement (en allant plus loin encore que dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?).
Le film est dans la lignée de ces comédies où se mélangent le réalisme
social et l’humour : c'est une farce tragique, où le réalisateur attaque aussi
bien le cynisme des riches tout puissants que l’avidité des pauvres prêts à
tout. Il fait rire tout en finissant sur une note très dure : Peppino et
Antonia, pourtant bien pauvres et qui, pensait-on, n’avaient rien à perdre, ont
encore moins qu'avant. Le peu qu'ils avaient, la vieille le leur a pris.
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