jeudi 25 juin 2015

Les théories du montage de S. M. Eisenstein



S. M. Eisenstein, en plus d'être le réalisateur de génie que l'on sait, a beaucoup analysé le cinéma (et il l’a fait, qui plus est, très précocement dans l’histoire du cinéma), en s’appuyant bien souvent sur ses propres œuvres pour mieux expliciter ses théories. En représentant majeur de l’école soviétique, il donne au montage une place fondamentale dans la création cinématographique.
Pour Eisenstein, un film est toujours un discours articulé, et un fragment est une unité de discours (bien plus qu’une unité de représentation). Et il utilise ces fragments sur le mode du conflit : c’est donc dans une logique d’opposition qu’il les agence, opposition qui peut revêtir de multiples formes (opposition graphique, lumineuse, spatiale, etc.). Le montage est donc, pour lui, le moment de la production de sens, au travers de l’exposition de conflits (la séquence célèbre de l’escalier d’Odessa, dans Le Cuirassé Potemkineoù se confrontent les soldats du tsar et la population, en est un exemple canonique).


Suivant ce principe de base, Eisenstein distingue alors quatre principales formes de montage ; montage qui, pour lui, on va le voir, est toujours affaire de mouvements. On pourra mesurer, dans les différentes approches qui vont suivre, l'abîme qui le sépare de la transparence hollywoodienne.

Il distingue tout d’abord le montage métrique. Il s’agit de tenir compte, ici, de la longueur de chaque fragment de film (en prenant en compte la longueur de pellicule) pour réaliser le montage. Eisenstein explique comment un effet de mouvement et donc de tension peut être obtenu en raccourcissant les morceaux de pellicule, tout en conservant les proportions originales de la formule (1/2, 1/3, 1/4, etc.). Ce montage procède donc d’un simple calcul et non d’une impression qui peut être éprouvée. Et le contenu propre à l’image est subordonné à la longueur des plans. Eisenstein prend pour exemple une séquence de La Ligne générale (l’épisode du fauchage).

Vient ensuite le montage rythmique où le contenu propre à chaque image doit être pris en considération pour déterminer la longueur de chaque morceau. De fait la longueur de chaque plan ne coïncide pas nécessairement avec une longueur déterminée mathématiquement comme dans le montage métrique. La séquence de l’escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine est un exemple-type d’un tel montage : la tension est obtenue en transférant le rythme des bottes des soldats au rythme de la descente de l’escalier par le landau abandonné.

Le montage tonal va chercher à dépasser l’aspect rythmique : la conception de mouvement doit ici embrasser les vibrations de toute sorte qui peuvent se dégager d’une image. Le montage est alors basé sur la résonnance émotionnelle propre à chaque plan. Eisenstein prend l’exemple de la séquence du port d’Odessa, toujours dans Potemkine, où chaque image a une même résonnance, un même ton (ici des vibrations lumineuses dans le brouillard). L’unité de la séquence est donc celle des images (c’est une unité qui s’appuie donc sur le fond, et non plus sur la forme comme dans le montage précédent).

Le montage harmonique, enfin, est, pour Eisenstein, l’occasion de prendre toutes les potentialités de chaque plan (le fond et la forme). Il est un développement ultime du montage tonal, allant vers une exaltation de chaque plan à même de provoquer un ébranlement émotionnel chez le spectateur. Il s’agit alors de parvenir à englober l’aspect rythmique en plus de la tonalité. Ce montage reste un objectif théorique, en ce qu’il est une aspiration du réalisateur à parvenir, ainsi, à extraire une harmonie du plan tout en permettant une harmonie entre les plans.


Eisenstein voit une gradation dans ces quatre méthodes de montage, allant vers un aboutissement, chacune étant engendrée par la précédente (le montage rythmique, par exemple, nait du conflit entre la longueur d’un plan et son mouvement intérieur propre). Il aborde également un dernier montage, le montage intellectuel, qui établirait non plus une harmonie de nature émotionnelle, mais de nature intellectuelle. Il prévoit ainsi une forme neuve de cinéma, un cinéma intellectuel, qui saurait combiner ces différentes harmonies. Pour Eisenstein, ce cinéma établirait une synthèse entre l’art cinématographique lui-même (qui s’adresse à l’émotion) et l’esprit de militant qui l’anime (et qui s’adresse au processus intellectuel).

Eisenstein, concentré sur sa table de montage

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