S. M. Eisenstein, en plus d'être le réalisateur de génie que l'on sait, a beaucoup analysé le cinéma (et il l’a fait, qui plus est, très précocement
dans l’histoire du cinéma), en s’appuyant bien souvent sur ses propres œuvres pour
mieux expliciter ses théories. En représentant majeur de l’école soviétique, il
donne au montage une place fondamentale dans la création cinématographique.
Pour Eisenstein,
un film est toujours un discours articulé, et un fragment est une unité de
discours (bien plus qu’une unité de représentation). Et il utilise ces
fragments sur le mode du conflit : c’est donc dans une logique d’opposition
qu’il les agence, opposition qui peut revêtir de multiples formes
(opposition graphique, lumineuse, spatiale, etc.). Le montage est donc, pour lui,
le moment de la production de sens, au travers de l’exposition de conflits (la
séquence célèbre de l’escalier d’Odessa, dans Le Cuirassé Potemkine, où se confrontent les soldats du tsar
et la population, en est un exemple canonique).
Suivant ce principe
de base, Eisenstein distingue alors quatre principales formes de montage ;
montage qui, pour lui, on va le voir, est toujours affaire de mouvements. On pourra mesurer, dans les différentes approches qui vont suivre, l'abîme qui le sépare de la transparence hollywoodienne.
Il distingue
tout d’abord le montage métrique. Il
s’agit de tenir compte, ici, de la longueur de chaque fragment de film (en
prenant en compte la longueur de pellicule) pour réaliser le montage.
Eisenstein explique comment un effet de mouvement et donc de tension peut être
obtenu en raccourcissant les morceaux de pellicule, tout en conservant les
proportions originales de la formule (1/2, 1/3, 1/4, etc.). Ce montage procède
donc d’un simple calcul et non d’une impression qui peut être éprouvée. Et le
contenu propre à l’image est subordonné à la longueur des plans. Eisenstein
prend pour exemple une séquence de La Ligne générale (l’épisode du fauchage).
Vient ensuite le
montage rythmique où le contenu
propre à chaque image doit être pris en considération pour déterminer la
longueur de chaque morceau. De fait la longueur de chaque plan ne coïncide pas
nécessairement avec une longueur déterminée mathématiquement comme dans le
montage métrique. La séquence de l’escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine est un exemple-type d’un tel montage : la
tension est obtenue en transférant le rythme des bottes des soldats au rythme
de la descente de l’escalier par le landau abandonné.
Le montage tonal va chercher à dépasser
l’aspect rythmique : la conception de mouvement doit ici embrasser les
vibrations de toute sorte qui peuvent se dégager d’une image. Le montage est
alors basé sur la résonnance émotionnelle propre à chaque plan. Eisenstein
prend l’exemple de la séquence du port d’Odessa, toujours dans Potemkine, où chaque image a une même
résonnance, un même ton (ici des vibrations lumineuses dans le brouillard).
L’unité de la séquence est donc celle des images (c’est une unité qui s’appuie donc
sur le fond, et non plus sur la forme comme dans le montage précédent).
Le montage harmonique, enfin, est, pour
Eisenstein, l’occasion de prendre toutes les potentialités de chaque plan (le
fond et la forme). Il est un
développement ultime du montage tonal, allant vers une exaltation de chaque
plan à même de provoquer un ébranlement émotionnel chez le spectateur.
Il s’agit alors de parvenir à englober l’aspect rythmique en plus de la
tonalité. Ce montage reste un objectif théorique, en ce qu’il est une
aspiration du réalisateur à parvenir, ainsi, à extraire une harmonie du plan
tout en permettant une harmonie entre les plans.
Eisenstein voit
une gradation dans ces quatre méthodes de montage, allant vers un
aboutissement, chacune étant engendrée par la précédente (le montage rythmique,
par exemple, nait du conflit entre la longueur d’un plan et son mouvement
intérieur propre). Il aborde également un dernier montage, le montage intellectuel, qui établirait non
plus une harmonie de nature émotionnelle, mais de nature intellectuelle. Il
prévoit ainsi une forme neuve de cinéma, un cinéma intellectuel, qui saurait
combiner ces différentes harmonies. Pour Eisenstein, ce cinéma établirait une
synthèse entre l’art cinématographique lui-même (qui s’adresse à l’émotion) et
l’esprit de militant qui l’anime (et qui s’adresse au processus intellectuel).
Eisenstein, concentré sur sa table de montage |
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