Voici
typiquement un film dont le propos principal est à la fois bien dans l’air du
temps idéologique et extrêmement simpliste.
Quelques
soldats français, écossais et allemands, sont coincés dans leurs tranchées à quelques mètres les uns des autres ; les
officiers décident d’organiser un cessez-le-feu le temps du soir de Noël.
Le
propos du film est navrant de naïveté. S’agit-il de dire qu’à la
guerre on se bat contre des frères humains ? La belle
révélation ! S’agit-il de montrer que la guerre est une folie ? Qu’il
faut se serrer la main et ne pas se battre ? Voilà bien une
pseudo-réflexion pacifiste type, celle qui nous dit que l’autre n’est pas un
ennemi. Réflexion bien étroite car quand bien même nous ne désignons pas
l’autre comme ennemi, si lui nous désigne comme son ennemi et nous attaque,
nous devons bien nous battre. Mais c’est bien là le cœur de l’erreur de l’idéologie
pacifiste.
Bien
entendu, pour faire passer son joli message, C. Carion est bien obligé d’aller
chercher un évènement particulier. De sorte que, sur 4 ans de guerre et
plusieurs millions de combattants qui se sont affrontés en des combats
acharnés, on choisit ici de nous montrer un événement qui, certes, a eu lieu,
mais de façon absolument exceptionnelle et, surtout, qui ne reflète rien du tout
de la mentalité générale des combattants. Parmi mille autres pistes, qu’on
relise Ceux de 14 de Genevoix et l’on
aura une idée plus proche de ce que fut cet état d’esprit. Joyeux Noël, en tendant à montrer des fantassins prêts à
fraterniser et uniquement poussés au combat par leurs supérieurs, continue de
faire passer les soldats de la première guerre pour des victimes – victimes de
leurs généraux et de leurs politiciens – puisque eux-mêmes, individuellement,
ne voulaient pas la guerre. C’est la version médiatique moderne qui nous est
donc présentée, mais qui n’est qu’une relecture de l’histoire tout à fait
fausse, qui infantilise les Poilus, nous fait croire qu’ils étaient pacifistes
(quelle honte ce serait, n’est-ce pas, s’ils étaient bellicistes !), nous fait
croire qu’ils auraient pu fraterniser réellement avec les Allemands (quelle
honte ce serait, n’est-ce pas, s’ils étaient patriotes !).
Et,
pour juger de la puissance du propos (en gros « nos ennemis sont nos
frères ») et de son caractère innovant, on peut se tourner vers ce qu’écrivait, 140 ans plus
tôt, Victor Hugo, quand il faisait se battre Enjolras et les siens sur les
barricades de Paris, au cœur des Misérables
:
« Et, abaissant sa carabine, il ajusta le
chef de pièce qui, en ce moment, penché sur la culasse du canon, rectifiait et
fixait définitivement le pointage.
Ce chef de pièce était un beau sergent de
canonniers, tout jeune, blond, à la figure très douce, avec l’air intelligent
propre à cette arme prédestinée et redoutable qui, à force de se perfectionner
dans l’horreur, doit finir par tuer la guerre.
Combeferre, debout près d’Enjolras, considérait
ce jeune homme.
- Quel dommage ! dit Combeferre. La hideuse
chose que ces boucheries ! Allons, quand il n’y aura plus de rois, il n’y
aura plus de guerre. Enjolras, tu vises ce sergent, tu ne le regardes pas.
Figure-toi que c’est un charmant jeune homme, il est intrépide, on voit qu’il
pense, c’est très instruit, ces jeunes gens de l’artillerie ; il a un
père, une mère, une famille, il aime probablement, il a tout au plus vingt-cinq
ans, il pourrait être ton frère.
- Il l’est, dit Enjolras.
- Oui, reprit Combeferre, et le mien
aussi. Eh bien, ne le tuons pas.
- Laisse-moi. Il faut ce qu’il faut.
Et une larme coula lentement sur la joue de
marbre d’Enjolras.
En même temps il pressa la détente de sa
carabine. L’éclair jaillit. L’artilleur tourna deux fois sur lui-même, les bras
étendus devant lui et la tête levée comme pour aspirer l’air, puis se renversa
le flanc sur la pièce et y resta sans mouvement. On voyait son dos du centre
duquel sortait tout droit un flot de sang. La balle lui avait traversé la
poitrine de part en part. Il était mort.
Il fallut l’emporter et le remplacer. C’étaient
en effet quelques minutes de gagnées. »
Cette
conscience de l’autre, associée au terrible « il
faut ce qu’il faut », lancent une réflexion bien plus aiguisée et
dérangeante que le gentil cessez-le-feu de Joyeux
Noël.
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