mercredi 2 décembre 2015

Blade Runner (R. Scott, 1982)




Blade Runner jouit d'une très grande réputation auprès des amateurs de science-fiction. Pourtant, après l'avoir vu et revu (cherchant à voir ce à côté de quoi nous devions certainement passer), ce film semble bien en-deçà de sa réputation.
La véritable réussite du film consiste en son atmosphère : Ridley Scott cherche à immerger le spectateur dans un monde futuriste, visuellement fouillé et réussi, sous une pluie et une noirceur constante, avec un grouillement de personnes, auquel s’oppose le monde vertical d’en haut, vaste et vide (on retrouve une partition habituelle des films de science-fiction, lointain héritage de Metropolis). On regrettera que Scott s’abaisse à des modes de réalisation comme celle du ralenti (lorsque Zhora est tuée) qui datent terriblement le film.
On y suit la traque par le détective Deckard (Harrison Ford) de répliquants (humains artificiels sophistiqués, pouvant ignorer leur véritable nature ; sans doute vaut-il voir ces androïdes comme des sortes de clones plutôt que comme des « humains artificiels »).
Les androïdes se sentent humains, certains ne sachant pas qu’ils sont androïdes (Rachel), mais la philosophie abordée (quel est le propre de l’homme ? S'agit-il de la pensée – le personnage de Pris qui assène même « je pense donc je suis » – ou des émotions ?) reste très superficielle. Le plus intéressant est peut-être cette idée d’obsolescence programmée (avec des individus qui savent qu’ils vont mourir) mais le film passe à côté d’une question fascinante (comment vivrait-on si l’on connaissait à l’avance le moment précis de notre mort ?). La réflexion reste assez simple dans la confrontation des androïdes avec leur créateur (qui évoque le monstre face à Frankenstein).
C’est que Ridley Scott a une autre idée en tête. Abandonnant le film d’action, il a voulu réaliser un film noir, et, cherchant à coller à un des fondamentaux du genre, il développe l’ambiguïté des personnages. Ce qui l’intéresse surtout c’est la nature réelle de Deckard : est-il humain ou repliquant ? Mais cette hésitation (qui n’a évidemment aucune autre portée que celle du film) n’arrive qu’en toute fin de film, comme un twist final, comme quelque chose que nous avait caché le réalisateur et qu’il nous dit à la fin.
Le film est sorti en de multiples versions, qui ne diffèrent que sur des points de détails mais cette multiplicité indique l’attachement du réalisateur (et des fans) à cette grande question concernant Deckart, puisque seuls quelques plans diffèrent d’une version à l’autre, mais qui modifient l’interprétation du film concernant la nature de Deckart (la version director’s cut de 1992 levant toute ambiguïté). Pour le reste le film est absolument identique. C’est bien là qu’on voit la faiblesse intellectuelle du film : que Deckart soit un repliquant ou un humain, au fond cela ne change pas la signification de l’histoire, ni n’apporte une profondeur supplémentaire.
On mesure la différence avec des films comme L’Homme qui tua Liberty Valance ou L’Invraisemblable vérité, dont les révélations changent du tout au tout la signification de l’histoire. Ici ce n’est qu’un petit twist scénaristique, sans grande portée.
Il faut bien dire aussi qu’avant cette toute fin de film, il y a bien peu d'indices qui indiquent que Deckart est peut-être un répliquant (lorsqu’on le voit en arrière-plan avec les yeux rouges ; sa fascination pour les photos), comme si, au fond, la question ne se posait pas. Et, plus problématique encore (ce qui montre bien la vacuité de la question et la faiblesse de son traitement) : Deckart lui-même ne s’interroge pas sur sa nature. On aurait volontiers imaginé, que, en même temps que le spectateur, par une suite d’indices, Deckart se pose la question progressivement, se mette à douter.

On reste en tous les cas bien loin des réflexions que peuvent engendrer les films de science-fiction ou d’anticipation qui touchent au plus près à l’homme ou à sa nature (depuis L’Invasion des profanateurs de sépultures jusqu’à Solaris en passant par 2001).

Dès lors ce film est un bel exemple : considéré comme un chef-d’œuvre par les uns, il est pour nous un film mineur. On trouvera sans aucun doute cent autres exemples dans ce blog de films qui, pareillement, paraîtront inoubliables à certains spectateurs alors qu'ils seront vite oubliés par d'autres.

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