Très grand film de George Cukor, qui allie mille facettes du cinéma, construisant une intrigue passionnante et à la profondeur multiple.
Le film est d'abord exotique et dépaysant, ne nous emmenant en Inde, pendant les heurts liés à la décolonisation, en 1947. Le film regorge
de cette ambiance indienne, avec des foules grouillantes, des marchés, des
femmes en sari, des maisons coincées les unes contre les autres, dont on accède aux terrasses par des échelles. Et Stewart Granger (qui joue le
colonel Savage) ajoute une touche supplémentaire d’exotisme : il est associé inévitablement aux deux films merveilleux
d'aventures que sont Scaramouche et Les Contrebandiers de Moonfleet.
Le film ensuit,e évidemment, est romantique : il s'articule
autour d'une femme, tiraillée par des sentiments et une identité complexe. Ava
Gardner est non seulement éblouissante, mais elle parvient à épaissir son
personnage de Victoria au-delà de la simple apparence et à émouvoir. Victoria est une métisse,
tiraillée entre ces deux pays qui sont en train de se déchirer. Elle personnifie l'Inde, coincée entre son identité propre et l'Angleterre et Victoria, tout comme l'Inde, oscille, balance d’un extrême à l’autre, se
sent condamnée à être ni l’un ni l’autre. Et ce tiraillement de Victoria s'exprime avec ces hésitations entre trois hommes autour d'elle : Ranjit l'indien, Patrick Taylor, métis comme elle, et, bien sûr le colonel Savage. Alors bien entendu il n'y a guère de surprise : avec Stewart Granger dans les environs, on voit mal Ava
Gardner filer avec un indien gentil mais insipide ou avec le triste Patrick. Mais c’est toute la qualité du film de rendre crédible,
fluide et logique cette difficile recherche d’une identité.
Enfin La Croisée des destins est d'une très grande beauté
formelle. Cukor a su profiter de la beauté d’Ava
Gardner (et a sans doute été galvanisé par elle) et il la met en scène (et en
images surtout) de façon éblouissante. Il l’éclaire de mille
manières, tantôt éclatante au soleil, tantôt, dans la nuit, rougie par le brasier d’une locomotive. Il profite du scénario pour l’habiller aussi de mille façons,
avec une robe blanche, une robe jaune (quasi fluo), un sari indien, une tenue
militaire. Qui d’autre qu’Ava Gardner pouvait interpréter ce rôle ?
Ava Gardner et Stewart Granger |
Ava Gardner en jaune |
Très beau plan de nuit, avec Ava Gardner en rouge... |
En sari indien... |
En blanc immaculé au milieu du déraillement |
La tourmente de Victoria dans le reflet de l'âtre brûlant du train |
Il y a quantités de belles actrices, mais, sans doute, aucune n’a été filmée avec un tel sens esthétique, une telle mise en image de sa beauté, que Ava Gardner, qu'il s'agisse de Pandora ou de La Comtesse aux pieds nus ou, donc, de La Croisée des destins.
Le génie de Cukor est bien sûr d’avoir su allier ces trois aspects cinématographiques, de les avoir mariés ensemble (et ce n’est pas toujours facile : la séquence de la tentative de viol ou celle du déraillement du train sont très durs à associer avec une beauté formelle ; Cukor y parvient par des éclairages, des contrastes, des jeux de caméras). L’intelligente voix off rajoute au liant de l’histoire. Et l’apparition fugace mais très forte de Gandhi fait accéder le combat du colonel à une hauteur supérieure encore. Certaines scènes sont magnifiques, bien des plans sont éblouissants.
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