Merveilleuse comédie (1) qui porte le genre à des hauteurs
exceptionnelles. Le film est d’un brio prodigieux et permet à
Lubitsch de montrer comment le rire se conjugue parfaitement avec une critique
dure et acerbe.
Tourné en pleine guerre To Be or Not to Be attaque
frontalement les nazis (en n'hésitant pas à mettre en scène Hitler et à jouer
avec son image – réglant ainsi directement la question de la pertinence de rire
de choses réellement graves). Et Lubitsch fait feu de tout bois.
En s’appuyant sur l'habituel triangle amoureux,
il s’amuse à le jouer et le rejouer, à le complexifier, à le transférer, en
mêlant cette intrigue avec une seconde intrigue faite d'espionnage.
Les acteurs sont merveilleux : Jack Benny
est truculent et Carole Lombard parfaite, en particulier dans les scènes
délicieuses où elle feint de céder aux tentations de Siletzsky le traître.
En bon satirique Lubitsch n'épargne personne :
les nazis sont ridiculisés (Le colonel Ehrhardt est d'une bêtise sans nom), les
acteurs de théâtre moqués (Joseph Tura en tête, qui déclame ses « To be or
not to be » de façon légendaire), les résistants même sont raillés
(Lubitsch devra s'en défendre publiquement après la sortie du film).
Il est fascinant de voir comment Lubitsch part
d'une situation simple et la complexifie à l'extrême, tout en aisance, en
déliant les imbroglios incroyables de l'intrigue avec aisance, jouant à fond de
la mise en abîme du théâtre, à la fois concrètement dans les décors (les
acteurs résistants font un faux décor dans un théâtre), mais aussi dans les personnages
qui se déguisent et glissent d'un personnage à l'autre avec délice. L’emboîtement
des intrigues et des situations, le rythme des répliques, l’humour sans cesse :
tout est délicieux.
Et la boucle se boucle merveilleusement : la
réplique finale (et la situation qu’elle induit !) est à ranger, aux côtés
de quelques autres, parmi les fins légendaires du cinéma.
Carole Lombard et Jack Benny |
Bien entendu To Be or Not to Be est un cas d’école pour comprendre Lubitsch et
le fonctionnement de ses comédies. Le film est d’ailleurs un des exemples pris
par Deleuze pour expliquer – dans sa classification des images – une forme
particulière d’image-action.
En effet, c'est une manière de faire classique chez Lubitsch : deux comportements similaires peuvent déboucher sur deux
situations complètement différentes. Par exemple, lorsque le spectateur se lève
quand Tura débute le fameux monologue de Hamlet, on ne sait s’il se lève parce
qu’il trouve l’acteur nul ou si c’est parce qu’il a rendez-vous avec sa femme.
Cette équivocité (le spectateur ne peut trancher) est la clef de l’humour de la
scène. C’est ce que Deleuze appelle la petite forme de l’image-action : c'est une action qui dévoile une situation (le plus souvent c'est le contraire : c'est une situation donnée qui est déclencheur d'une action).
________________________________
(1) : Le titre français – Jeux dangereux – gâche tellement le plaisir du titre original (qui est absolument parfait et délicieux de sous-entendus) qu'il vaut mieux s'en tenir à To Be or Not to Be.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire