lundi 16 janvier 2017

L'Éclipse (L'Eclisse de M. Antonioni, 1962)




L’Éclipse est tout à fait représentatif du style d’Antonioni. Pour parvenir à apprécier le film, il faut comprendre (et accepter) le parti-pris du réalisateur qui est de filmer les moments creux, les espaces vides, les temps morts, les entre-deux. Il faut donc accepter cette absence d’action, cet effacement des personnages, qui se détachent d’un monde qui semble vide et sans vie.
Antonioni démarre son film non pas sur une rupture dans un couple, mais sur l’instant d’après, lorsque la rupture est consommée et que les choses ont été dites et ressenties. Son film découle donc d’un évènement hors-champ (le film commence trop tard pourrait-on dire), en effet, « quand tout a été dit, quand la scène majeure semble terminée, il y a ce qui vient après » nous dit Antonioni. Et on ne voit en fait que « ce qui reste des expériences vécues ». Et l’on voit Vittoria (Monica Vitti) errer dans les rues, sans trop savoir où elle va, avec des plaisirs fugaces et de longs moments perdus, jeune et pourtant déjà tellement marquée par son passé (le couple et la rupture, qui ne nous ont pas été montrés), lasse, déjà névrosée, enfermée dans une incommunicabilité.



G. Deleuze (dans L’Image-temps) résume très bien le propos principal du réalisateur, au travers de l’interrogation sous-jacente au film : « qu’est-ce qu’est devenu l’amour pour qu’un homme ou une femme en sortent ainsi démunis, lamentables et souffrants, et qu’ils agissent et réagissent aussi mal au début qu’à la fin, dans une société corrompue ? »

Si la démarche, résolument moderne, est intéressante, le résultat est beaucoup plus discutable. On retrouve là un biais de l’art contemporain, qui se définit par une démarche et oublie quelque peu, par-delà ce prétexte de la démarche, l’œuvre.
Pour Deleuze on entre ici dans la crise de l’image-action : les personnages ne réagissent plus selon des liens sensori-moteurs, mais ils sont en errance et définissent des situations optiques et visuelles pures (par exemple lorsque Vittoria cherche le chien de sa voisine la nuit). Antonioni filme le temps pour lui-même.
Le film fonctionne donc par de lents plans, entrecoupés de cuts brusques, des à-coups narratifs, accélérant soudainement et ralentissant terriblement à d’autres. Et l’on passe, d’ellipses en ellipses sur tel ou tel moment.
Antonioni filme la ville en multipliant les cadrages géométriques, oppose les espaces grouillants (la Bourse) aux rues vides, tend à l’abstraction (des arêtes vives, des formes étranges). On peut voir du Mondrian dans ces lignes droites qui se croisent, dans ces carrefours quelconques, dans ces angles de rues et dans ces blocs d’immeubles, dans ces aplats de béton saillant. Et, toujours, cette silhouette de Monica Vitti, sans énergie, sans force de vie, que l’on accompagne le long des rues.
Elle croise Piero (Alain Delon), jeune courtier fougueux, qui ne comprend pas Vittoria, mais qui est lui aussi névrosé, corrompu, nous dit Antonioni, par la vie infiniment futile et vaine de la Bourse. Et le film brosse très bien (à coups d’évocations, de lenteur, de vide), ces deux modèles de vies jeunes mais déjà achevées et que Antonioni ne cherche pas à sauver. Chacun de ces deux personnages n’existe pas réellement : ce ne sont que des attitudes (de l’attente, du désespoir, de la fatigue).



La fin est très réussie : la concision narrative extrême d’Antonioni tire un trait définitif sur ce couple éphémère, sans une parole, sans une explication, simplement à coups de longs plans de rues vides et qui se croisent.

Malheureusement, de ce style et de ces partis-pris, deux conséquences : d’une part le film est totalement dénué de charme et d’épaisseur, tout reste froid et distant. Et, d’autre part, il faut reconnaître qu’il se dit bien peu de choses dans le film (comme dans beaucoup d’autres films d’Antonioni) : à filmer les gaps et les à-côtés, Antonioni vide la narration de sa substance. La vie est vide, semble-t-il se borner à nous dire.



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