Film intéressant
des frères Dardenne mais qui souffre de deux tares qui l’empêchent de happer le
spectateur et de l’entraîner vers l’émotion
et l’empathie recherchées.
Le premier
problème du film est qu’il s’appuie sur un cas de licenciement extrême. En
effet, l’alternative proposée dans le film (à chaque employé il est demandé de
choisir entre recevoir une prime importante ou garder une collègue de travail) est tout
à fait hors du commun. On est très loin d’un cas banal. Et, comme tout
raisonnement basé sur un cas extrême, le parcours de Sandra, qui a tout du
chemin de croix, perd terriblement en crédibilité parce que son ressort est outrancier
et, par là même, artificiel et peu crédible.
On retrouve une difficulté récurrente des films (français notamment) à amener un regard social qui ne
soit pas caricatural ou qui n’amène pas à des choix caricaturaux : ici
elle oppose la prime individuelle et le licenciement. Au ressort de
l’humiliation dans La Loi du marché
de S. Brizé, succède donc celui du cas de conscience (la prime ou la
solidarité ?) porté à un point intenable (Sandra vient supplier ses collègues
de voter pour elle, contre leur prime). Le film s’applique à montrer que de
nombreux collègues aimeraient aider Sandra mais ne peuvent se permettre de se
passer de la prime. Ils ne sont pas condamnés moralement, à l’inverse des
patrons, qui, d’une façon tout à fait habituelle, systématique et évidente,
sont les vrais salauds du film.
Le second
problème est que le grand souci de réalisme des frères Dardenne est mis à mal
par le choix de Marion Cotillard. Non pas qu’elle joue mal (une fois n’est pas
coutume : elle est très bien) mais parce qu’une star n’est pas du tout
appropriée pour ce type de film, qui prétend nous immerger dans le réalisme et multiplie
pour cela les acteurs inconnus et non professionnels. On ne voit pas réellement
Sandra, son personnage, mais on voit Marion Cotillard qui interprète très bien
Sandra. C’est comme le choix de Bourvil dans Les Misérables : quelles que soient les qualités de l’acteur, on
ne voit pas Thénardier, on voit Bourvil interpréter remarquablement Thénardier
(de même Gabin pour Jean Valjean). Et, plus encore, la star fait ici irruption dans
un univers de petites gens, prolétaires. On ne saurait trop
souligner l’incongruité de voir Marion Cotillard, star cotée à Hollywood et qui
tourne dans des blockbusters aux côtés de réalisateurs prestigieux, jouer à la
femme ouvrière dépressive : l’incarnation n’est pas possible (1). Cette impossible
oubli de l’acteur derrière son personnage est un piège (facile) à éviter et
dans lequel les frères Dardenne ne tombent pas habituellement.
________________________________
(1) : On
retrouve exactement le même problème dans La
Loi du marché où Vincent Lindon, affublé pour l’occasion d’une moustache
prolétaire (dont on sait, puisque l’on connaît l’acteur, qu’elle est un
accessoire de maquillage), « joue » au chômeur dans un film qui
cherche à être un témoignage réaliste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire