La grande
question de savoir ce qu’est un bon film se heurte assez vite, hormis pour les
cas incontestables (lorsque les films sont incontestablement excellents ou très
mauvais), aux sensibilités de chacun.
On peut pourtant suggérer une ligne de fracture qui est pour beaucoup dans la
différence entre bons films et mauvais films.
En effet, dans
certains œuvres, les personnages apparaissent très stéréotypés et, à aucun
moment, ils ne sortent de ce stéréotype ou ne viennent le contredire. Par
exemple, au début des Choristes de C. Barratier, Clément Mathieu (Gérard Jugnot)
apparaît comme un bon bougre gentil, ce qu'il restera tout au long du film ; de
même pour Rachin (François Berléand), qui sera invariablement, pendant tout le film, un directeur
tyrannique et impitoyable.
À l’inverse,
dans d’autres films, les personnages (ou tout du moins le personnage principal)
se complexifient au cours du récit, soit en se révélant au spectateur, soit en
se révélant à eux-mêmes. Par exemple dans Mud,
le jeune Ellis perd progressivement ses idéaux et, à cette évolution, répond
celle de Mud lui-même qui évolue considérablement lui aussi, jusqu’à une
véritable renaissance. Le héros peut aussi évoluer en mal, c’est-à-dire
décevoir ou se retourner contre d’autres personnages. C’est le cas de Tom
Dunson, personnage complexe et pivot de La Rivière rouge. (1)
Ainsi, bien des
films, qui ont pourtant une certaine ambition – notamment en ce qu’ils se
veulent un reflet de la société ou parce qu’ils entendent délivrer un
« message » –, passent complètement à côté de leur sujet à cause de
ces personnages superficiels et qui semblent imperméables à tout et sans complexité.
Tous les
protagonistes du Capital de
Costa-Gavras sont ainsi des caricatures, brossées sans aucune finesse. Il n’est
pas un seul personnage qui sortira de la case qui lui est assignée à la
première minute du récit. Il n’y en a pas un qui évoluera ou réagira de manière
surprenante ou complexe. Le militantisme affiché par le film perd alors toute
substance et ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus par les thèses de
l’auteur.
Il manque
clairement une dimension à ces personnages qui restent insensibles aux
expériences qu’ils rencontrent. Ils sonnent faux et, même dans les films qui
cherchent à rattacher leur récit à une réalité, n’apparaissent pas du tout
crédibles.
C’est ainsi que, dans beaucoup de films, c’est le trajet du héros qui fascine. Certains personnages sont ainsi devenus des exemples typiques (et passionnants) d’un enrichissement qui va croissant au fur et à mesure de l’avancée du récit :
Le Capital de Costa-Gavras |
C’est ainsi que, dans beaucoup de films, c’est le trajet du héros qui fascine. Certains personnages sont ainsi devenus des exemples typiques (et passionnants) d’un enrichissement qui va croissant au fur et à mesure de l’avancée du récit :
- Dans Les Raisons de la colère, Tom Joad sort
de prison (il ignore tout des tenants et aboutissants de la période de crise
qui frappe les siens) et le film montre l’éveil d’une conscience politique et un
investissement progressif dans les syndicats.
- Ethan Edwards,
dans La Prisonnière du désert, prend
conscience progressivement qu’il est un homme du passé et que ses haines sont
d’un autre temps.
- Dans Le Parrain, Michael Corleone prend en
main les rênes de la famille, derrière un premier frère trop sanguin et un
second falot. Lui qui voulait se tenir à l’écart de sa famille comprend qu’il
n’a pas d’autres choix et il accomplit précisément ce qu’il voulait éviter.
- Dans Une place au soleil, George Eastman est coincé
dans une situation qui lui échappe et dont il ne sait comment se dépêtrer. Chaque
avancée dans le récit est comme un poids supplémentaire sur ses épaules.
- Le Dernier face à face de S. Sollima est
considérablement enrichi par les deux personnages qui se révèlent ne pas être
du tout ce qu’ils semblaient être. S’il n’y avait ce parcours croisé des deux
protagonistes, le film n’aurait à peu près rien à dire.
On sera donc sensible à ces personnages à la trajectoire courbe et hasardeuse et non rectiligne et comme prédéterminée. Dans mille et un films de série B – mais aussi, on l’a dit, dans bien des films qui prétendent amener une réflexion – il n’y a rien à attendre d’autre que le déroulement du récit, qui apparaît comme une suite d’étapes sans effet sur des personnages monolithiques.
Les Raisins de la colère de J. Ford |
On sera donc sensible à ces personnages à la trajectoire courbe et hasardeuse et non rectiligne et comme prédéterminée. Dans mille et un films de série B – mais aussi, on l’a dit, dans bien des films qui prétendent amener une réflexion – il n’y a rien à attendre d’autre que le déroulement du récit, qui apparaît comme une suite d’étapes sans effet sur des personnages monolithiques.
Disons, si l’on veut
être moins catégorique dans cette distinction entre bons et mauvais films, que
cette évolution des personnages est peut-être ce qu’il manque à un certain
nombre de films pour être bien meilleurs.
(1) : Il
faut bien sûr exclure de cette dichotomie les films de série (par exemple les
films de James Bond ou avec Indiana Jones) qui, précisément, supportent mal que
le héros puisse changer, de même que les comédies, purement divertissantes.
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On notera également
que de nombreux personnages de films modernes (entendant par là des films qui
procèdent de l’image-temps), n’évoluent pas du tout. Mais on est ici dans un
cas particulier puisque le film lui-même, souvent, n’est qu’une errance, sans
véritable leitmotiv, et il n’arrive rien de particulier au personnage (c’est
d’ailleurs bien là, souvent, ce que veut montrer le réalisateur). Le temps
passe, le personnage ne sait pas trop où il va, il n’a pas de but véritable.
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