Très bon film d’Abdellatif Kechiche, qui confirme ici son
style (fait notamment de longues séquences, comme autant de grands blocs qui
structurent le film) et sa capacité exceptionnelle à faire vivre des personnages
et vibrer des communautés.
Le film se construit en deux axes différents. Le premier
est celui centré sur Slimane, le vieux maghrébin, qui se fait licencier et
cherche à rebondir en voulant ouvrir un restaurant. Si Kechiche se permet une
liberté narrative (par exemple l’ellipse sur son licenciement), on suit
différents moments qui tracent un portrait social très dur. Mais, autour de
cette trame, Kechiche, avec son style habituel, peint de véritables tableaux de
vie, et sa caméra explore et met à jour les personnages, les visages, les petits
moments et parvient à capter l’humanité de chacun. Le film alors, au travers de
cette communauté qui cherche à exister dans ce pays qui ne l’accepte qu’à
moitié, gagne une épaisseur et une chaleur humaine fascinante, mélangeant des
tons tristes et une réelle joie de vivre. Kechiche parvient à éviter la
lourdeur militante, en refusant la facilité du manichéisme, et peint avec un
vérisme étonnant. On sent combien le film se range aux côtés d’une lignée qui
part de Renoir ou Pagnol et file jusqu’à Pialat.
Kechiche prend ses distances avec la narration (il ne
rechigne pas à des ellipses importantes) et, surtout, il la ralentit en prenant
le temps d’épuiser chaque moment de vie qu’il prend sur le vif, par de longs
plans-séquences ou en ne s’autorisant que très peu de découpage, avec des gros
plans insistants si besoin, et en faisant durer les scènes, jusqu’à les
épuiser. Il laisse chacun se raconter ou
se confronter : la parole revêt durant tout le film une importance
capitale, avec de longs monologues, entrecoupés de silences. Que ce soit au
travers de discussions dans un café, lors du repas familial ou dans une dispute
dans la cuisine, sa caméra insiste avec une « essentialisation » qui
renvoie à celle de Pialat ou Cassavetes.
Kechiche, enfin, aborde la question de la communauté – ce
qui la fonde et l’identifie, mais aussi ce qui ralentit son intégration – et le
couscous, centre du film et qui est au cœur de la séquence finale, apparaît
comme le symbole de ce qui unit la famille et de ce qui peut rassembler les
communautés. Le film alors, s’écarte du réalisme individuel : chacun ne
cherche pas tant à réussir concrètement qu’à réussir symboliquement. Slimane se
bat, accompagné par tous ses proches qui se battent pour lui, mais à aucun
moment l’ouverture du restaurant n’apparaît comme réellement possible. Chacun
se donne un rôle, héroïque si besoin. La danse finale de Rym, qui donne tout ce
qu’elle a (et, à travers cette danse du ventre, tout ce qu’a sa communauté)
pour que les clients – blancs – patientent, symbolise cette position de chacun
dans le film, cette foi chevillée au corps et, en même temps, ce don de soi
tout à fait vain.
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