mardi 6 février 2018

La Graine et le Mulet (A. Kechiche, 2007)




Très bon film d’Abdellatif Kechiche, qui confirme ici son style (fait notamment de longues séquences, comme autant de grands blocs qui structurent le film) et sa capacité exceptionnelle à faire vivre des personnages et vibrer des communautés.
Le film se construit en deux axes différents. Le premier est celui centré sur Slimane, le vieux maghrébin, qui se fait licencier et cherche à rebondir en voulant ouvrir un restaurant. Si Kechiche se permet une liberté narrative (par exemple l’ellipse sur son licenciement), on suit différents moments qui tracent un portrait social très dur. Mais, autour de cette trame, Kechiche, avec son style habituel, peint de véritables tableaux de vie, et sa caméra explore et met à jour les personnages, les visages, les petits moments et parvient à capter l’humanité de chacun. Le film alors, au travers de cette communauté qui cherche à exister dans ce pays qui ne l’accepte qu’à moitié, gagne une épaisseur et une chaleur humaine fascinante, mélangeant des tons tristes et une réelle joie de vivre. Kechiche parvient à éviter la lourdeur militante, en refusant la facilité du manichéisme, et peint avec un vérisme étonnant. On sent combien le film se range aux côtés d’une lignée qui part de Renoir ou Pagnol et file jusqu’à Pialat.


Kechiche prend ses distances avec la narration (il ne rechigne pas à des ellipses importantes) et, surtout, il la ralentit en prenant le temps d’épuiser chaque moment de vie qu’il prend sur le vif, par de longs plans-séquences ou en ne s’autorisant que très peu de découpage, avec des gros plans insistants si besoin, et en faisant durer les scènes, jusqu’à les épuiser. Il laisse chacun se raconter ou  se confronter : la parole revêt durant tout le film une importance capitale, avec de longs monologues, entrecoupés de silences. Que ce soit au travers de discussions dans un café, lors du repas familial ou dans une dispute dans la cuisine, sa caméra insiste avec une « essentialisation » qui renvoie à celle de Pialat ou Cassavetes.
Kechiche, enfin, aborde la question de la communauté – ce qui la fonde et l’identifie, mais aussi ce qui ralentit son intégration – et le couscous, centre du film et qui est au cœur de la séquence finale, apparaît comme le symbole de ce qui unit la famille et de ce qui peut rassembler les communautés. Le film alors, s’écarte du réalisme individuel : chacun ne cherche pas tant à réussir concrètement qu’à réussir symboliquement. Slimane se bat, accompagné par tous ses proches qui se battent pour lui, mais à aucun moment l’ouverture du restaurant n’apparaît comme réellement possible. Chacun se donne un rôle, héroïque si besoin. La danse finale de Rym, qui donne tout ce qu’elle a (et, à travers cette danse du ventre, tout ce qu’a sa communauté) pour que les clients – blancs – patientent, symbolise cette position de chacun dans le film, cette foi chevillée au corps et, en même temps, ce don de soi tout à fait vain.


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